mardi, avril 25, 2006

LE VIRAGE CANADIEN

POUR QUELLE GUERRE?


Emery G. Uhindu-Gingala


Après une décennie passée dans l’opposition, le parti conservateur canadien a de nouveau bénéficié de la faveur populaire. Quoique pour un gouvernement minoritaire. A l’instar du précédent gouvernement libéral défait.
A peine installé au pouvoir, le jeune premier ministre fraîchement élu (46 ans), Steven Harper, étonne. Ou plutôt il déconcerte.
Applaudit pour certaines décisions de politique interne promptement appliquées, le premier ministre canadien a, sur le plan international, une vision qui laisse perplexe et inquiète. Elle bouscule et brouille la culture politique de ses concitoyens peu habitués aux grands écarts idéologiques. Parce qu’à Ottawa, libéraux et conservateurs (les deux plus grandes formations politiques fédérales) ne gouvernent, à quelques différences près, qu’au centre. Et, c’est dès cette… accointance idéologique que s’est érigée la politique internationale du Canada. Notamment sur le plan militaire : Le Canada est reconnu pour sa vocation-et son expertise- dans les missions de paix partout dans le monde. Sous l’égide des nations unies : Ottawa, et ce depuis toujours, prône et applique l’engagement militaire multilatéral.
Le "casque bleu" n’a jamais été aussi longtemps -et bien- porté que par le soldat Canadien.
Le nouveau gouvernement conservateur semble en avoir décidé autrement, entraînant résolument les Forces canadiennes dans la lutte au terrorisme cher à Georges W. Bush. En Afghanistan. Sous commandement américain!


Le déploiement canadien libère opportunément le territoire afghan du contingent américain; afin que celui-ci se précipite où sa présence est fortement requise, en Irak.
La décision d’envoyer des troupes en guerre est une prérogative du gouvernement.
Le premier ministre en a seul la responsabilité. Et le droit. C’est ce qu’a justement fait valoir Steven Harper. Ne se privant pas de préciser qu’il ne faisait là qu’appliquer un accord signé entre son prédécesseur libéral (Paul Martin) et les États-unis. Le Canada ne pouvait donc pas, sans se discréditer, se défiler face à ses engagements internationaux. Les libéraux, qui ne nient pas le fait, ont beau jeu de prétendre a posteriori qu’ils avaient l’intention, avant que d’autoriser- ou non- l’opération, d’en solliciter le mandat au parlement.
Jusque il y a peu, le Canada opérait en Afghanistan, intégré à la Force d’assistance à la sécurité (FIAS) de l’OTAN. Les Forces canadiennes passent maintenant sous commandement américain dans le cadre de l’opération Enduring Freedom.
En un accord tout ce qu’il y a de plus bilatéral.
M. Harper, homme de parole s’il en est, s’honore d’une loyauté qu’il est bien le seul à sacraliser. Le nouveau premier ministre espagnol n’a pas hésité, une fois au pouvoir, à soustraire ses soldats de la "coalition" sévissant en Irak. Sans en encourir le moindre discrédit mondial. Le nouveau gouvernement polonais s’apprête à faire de même.
Même si Espagnols et Polonais ne sont pas voisins des États-unis, il y a cependant des limites à vouloir plaire : C’est Ottawa qui a annoncé en premier la cessation de son aide aux Palestiniens au lendemain de l’investiture du gouvernement formé par le Hamas! Devançant en cela les Américains eux-mêmes! Du jamais vu.
Mais que voit-on encore : le jeune ministre canadien des affaires étrangère, Peter
Mc Kay, proposer ingénument, à Washington, l’option militaire contre l’Iran; effarouchant presque, devant un tel volontarisme, Gondoleeza Rice, laquelle ne parlait encore que de fermeté face à Téhéran. «Il n’y a pas d’autre option», tint à préciser l’apprenti-sorcier, manifestement en pamoison devant son homologue, le secrétaire d’état américain, "mon idole" avait-il eut l’honnêteté d’avertir d’entrée de jeu. Nul doute qu’il va bientôt s’en trouver un autre, sinon le même, pour préconiser avec la même candeur l’entrée du Canada dans "la guerre des étoiles", par bouclier anti-missiles interposé. Ne désespérons pas.

"Made in America"
Le Canada a-t-il les moyens de sa nouvelle politique "va-t-en guerre"; ou bien compte-t-il, en s’engageant ainsi tout azimut, sur la protection du grand-frère Américain?
La position du Canada face aux États-unis avait été l’un des enjeux de la dernière campagne électorale fédérale. Les candidats rivalisaient sur qui se distancerait le plus de Washington. Le chef libéral avait, à ce jeu, poussé l’irrévérence jusqu’à l’indélicatesse. Au point de sérieusement compromettre la séculaire et nécessaire bonne entente entre ces deux alliés de toujours. Les Canadiens, d’ailleurs, n’en ont jamais été dupes.
Personne ne reprochera donc au gouvernement Harper de vouloir rétablir avec le puissant voisin américain des relations passablement malmenées par les gesticulations désespérées de Paul Martin. Et Harper, c’est un homme d’honneur, d’évoquer la loyauté en prologue de ce qui allait suivre.
Contrairement à l’amour, la loyauté au niveau des états n’est jamais aveugle. Elle se déduit d’une stratégie à long terme; et c’est à partir des intérêts locaux qu’elle doit se conjuguer à l’intérêt de la communauté internationale. Si ce dernier ne contrarie pas les premiers. Les États-Unis, justement, le disent. Et le font. Realpolitik oblige.
La souveraineté nationale, incarnée par le nouveau gouvernement conservateur, revêt des allures de coquille vide tant elle semble bancale. Pis, sa politique internationale ne paraît suivre aucune ligne directrice, et ne répondre à aucune préoccupation réelle du Canada. La "lutte au terrorisme" est une vaste et vague rubrique. Le terrorisme international, pour concret qu’il soit, ne se vit pas de la même manière pour tous. On ne peut donc pas y répondre de façon indifférenciée. C’est cela qu’expriment les retraits des Espagnols et Polonais
Le modèle américain (radicalisé par l’administration Bush) consiste à combattre les effets en faisant fi des causes. Le Canada a toujours traditionnellement privilégié le processus inverse : agir sur les causes, la pauvreté, les injustices, le désespoir…toutes choses constituant un terreau fertile propice à l’émergence des vocations terroristes. L’option militaire, lorsque l’Onu la requiert, doit s’intégrer à une vision plus globale; le problème devant être approché sur tous les fronts. Non pas que par des frappes, pour intelligentes qu’on les prétendit. En se collant si étroitement à la vision américaine le gouvernement canadien amorce un virage vertigineux, auquel les Canadiens, encore tout à leur étourdissement, ne s’attendaient guère.


L’émotion des uns, la raison des autres
Aux lendemains des attentats terroristes perpétrés à New York, le 9-11, toute l’Amérique-et c’est peu dire- était en émoi. L’exutoire irakien joua comme un ersatz : il sembla alors le meilleur moyen de canaliser le trop plein d’émotion qui étreignait le peuple meurtri dans sa chair. Les stratèges du Pentagone, entre autres raisons occultes, désignèrent par défaut un coupable accessible, Saddam Hussein. Puisque Oussama ben Laden- qui pourtant revendiqua souvent la forfaiture- ne se résignait guère à se laisser capturer. Georges W. Bush qui n’avait rien d’autre à proposer aux Américains gagea, avec succès, sa présidence sur sa chasse aux sorcières. Fort de l’appui inconditionnel du peuple et de toutes les institutions de l’état, le président américain, dont les événements avaient démesurément grandi la stature, put entamer sa croisade irakienne, marchant au passage sur l’ONU, mobilisant dans sa folle ambition la plus grande puissance technologique, financière, économique et militaire du monde. Lors même il se retrouve aujourd’hui empêtré dans son aventureux projet, désavoué par le peuple dont il abusa la crédulité, l’homme avait, lui, les moyens de sa politique. Pour l’application de laquelle il continue toujours, bizarrement, de disposer des énormes ressources de son pays. Des centaines de milliard des dollars plus tard, équivalant à plusieurs fois le budget annuel du Canada, les États-unis ne sont toujours pas au bord de la faillite. Loin s’en faut.

Contrairement à Georges W. Bush, Steven Harper un homme crédité d’une grande intelligence, que même ses contempteurs les plus virulents reconnaissent. Brillant jusqu’à l’astucieux dans la maîtrise de ses dossiers de politique interne, pour ce qu’on en sait jusqu’ici, le premier ministre canadien a toujours démontré, même dans l’opposition, une parfaite connaissance de l’environnement international et des grands enjeux mondiaux.
Et le fait qu’il soit ainsi abondamment encensé dès le début de son mandat fait craindre que le très honorable Steven Harper en ait développé une hasardeuse outrecuidance.
Au point de se croire, tel le pape pour les catholiques, infaillible. Peu de choses expliquent en effet qu’il ignorât que ce à quoi il convie aujourd’hui les Canadiens dépasse le simple respect d’un engagement international- bilatéral. Qu’il s’agit en réalité d’un radical changement de paradigme. Une rupture de contextes. Rien de moins. Changement dans les mentalités, revirement -révolution- de la vocation militaire. Un tel chambardement conceptuel doit péremptoirement être précédé des dispositions pragmatiques. Lesquelles ne doivent pas suivre les décisions politiques. A ce jour les Forces canadiennes ne sont guère entraînées pour ce genre d’équipée. Elles n’en possèdent pas non plus, cela va de soi, le matériel adéquat.
Qu’à cela ne tienne : Les Canadiens ne portent pas en eux la charge émotive qui a suscité l’engouement des Américains pour la présomptueuse option de leur président au lendemain du 11 septembre 2001.
Steven Harper aurait tort de croire que la forte résistance des Canadiens pour ce brutal changement n’est qu’une capricieuse peccadille dont l’ampleur s’érodera avec le temps.
Car, c’est bien sur cela qu’il compte. Le temps. Il espère avoir la population canadienne à l’usure. Puisque nul au pays ne le prend au sérieux lorsqu’il a le front de prétendre, pour justifier son action on ne peut plus précipitée, que le Canada est une des cibles déclarées d’Al- Quaïda! Le Canada se serait donc à ce point gardé que les terroristes n’aient jamais pu aborder ses fortifications et ses remparts! Alors même que Washington reproche à Ottawa le fait que ses frontières constituent une vraie passoire pour les terroristes désireux de se rendre aux États-unis…

Ce que le Canada a réellement à redouter, ce sont les conséquences d’une telle propulsion dans l’œil du cyclone. Les terroristes, et c’est hélas plus qu’un cas de figure, pourraient retourner leur glaive vengeur contre la sécurisante quiétude des Canadiens. Le pays est-il vraiment prêt à en accuser le coup? D’exceptionnelles mesures de sécurité ont-elles déjà a priori été adoptées pour parer à telle éventualité?
Il faut l’espérer. Autrement M. Harper risquerait de perdre plus qu’une simple réélection. Il joue- dans ce qui est loin de n’être qu’un joute politique- toute sa carrière.
Georges W. Bush, lui, n’a désormais plus rien à perdre.
Les Canadiens ont toujours tenu à affirmer leur souveraineté vis-à-vis des États-unis.
Ce nouveau mimétisme politique laisse un goût amer. Il a des relents d’inféodalité, il peut traduire un certain degré d’assujettissement. A tort ou à raison.
EMERY G. UHINDU-GINGALA

lundi, avril 17, 2006

HAÏTI: LA PAIX DES BRAVES

Par Emery G. Uhindu-Gingala

La catastrophe n’aura pas eu lieu.
Haïti a survécu à l’élection de tous les dangers.
L’hécatombe que d’aucuns avaient prévue, voire souhaitée ne sera finalement pas advenue.
On se serait attendu à ce que la communauté internationale se fende, après avoir poussé un soupir de soulagement, en félicitations pour la plus vieille république noire indépendante. Qu’un satisfecit soit décerné à la commission électorale pour sa gestion intelligente d’une situation qui, autrement, aurait pu réellement virer au vinaigre. Que le peuple haïtien soit applaudit pour sa détermination à sacrifier au jeu démocratique. En dépit de la précarité des conditions minimalement requises pour la réussite d’un scrutin digne de ce nom. On aurait souhaité que…

Que les larmoiements de l’ex-président Leslie Manigat soient vus pour ce qu’ils étaient en réalité : une grossière comédie destinée à sauver la face. Nul, en Haïti ou ailleurs, n’a jamais sérieusement pensé que Manigat pouvait l’emporter sur René Preval au second tour du scrutin. Et des irrégularités (bulletins détruits, des électeurs empêchés de voter…), corroborées par les observateurs internationaux, ont bel et bien été orchestrées au détriment de Préval. Même si l’on ne peut affirmer que Leslie Manigat en aurait été le bénéficiaire.
En cédant à la pression populaire, la commission électorale ne s’est guère déshonorée. Face à la "plèbe" piaffant d’impatience, il fallait une solution de sagesse non éloignée du verdict des urnes. Et C’est après une répartition qualitative des voix, et c’est là une pratique usitée dans les démocraties dites "grandes", que la victoire du candidat Preval a été déclarée, au premier tour du scrutin.
La paix sociale et l’économie d’une sanglante déflagration peuvent parfois en appeler au compromis. En autant qu’il ne s’agisse point d’une compromission.
Que ceux qui sont prompts à hurler avec les loups, lors il s’agit d’un pays du tiers-monde, se souviennent de la première élection d’un certain Georges W. Bush. Le président de la plus puissante nation au monde n’avait alors du d’être élu qu’à la faveur d’un… "arrangement" dont même Saddam Hussein s’était gaussé. Et avec lui le monde entier. Pour un enjeu moins important que la cohésion sociale : Les Etats-Unis n’étaient tout simplement pas menacés d’implosion par une guerre civile.
En 2004, l’Ukraine servait au monde ébahi, un fait sans précédent dans l’histoire politique contemporaine : un troisième tour d’élection présidentielle ! Et cet événement, cet "arrangement", il faut le souligner, n’a pu se produire que sous la pression populaire.
La communauté internationale a alors salué la détermination du peuple ukrainien à se mobiliser pour le rétablissement de ses droits. Et d’accompagner les Ukrainiens dans leur marche volontariste pour la liberté.
Une décennie plus tôt, en Algérie. Aucune voix "démocratique" ne s’était élevée, de par le monde, contre la confiscation par l’armée de la victoire du Front islamique du salut (FIS). Certains, plusieurs élus du FIS croupissent encore en prison à ce jou. Des terroristes. Ils vivaient en marge d’un processus auquel tous avaient pourtant accepté qu’ils participent. Pour l’image de la démocratie. Encore une histoire oubliée.
Pourquoi exige-t-on d’Haïti une perfection à laquelle sont loin d’atteindre ceux-là même qui se déclarent imprégnés de la culture démocratique. Ne fais pas ce que je fais…
Le premier ministre sortant Gérald Latortue plaidait pour l’indulgence lorsqu’il arguait, avec raison, que son pays n’avait pas de tradition démocratique. Et d’évoquer les difficultés techniques à la bonne tenue des élections dans les délais exigés par la communauté internationale.
Le principe démocratique peut souffrir certains accrocs dès lors que certains intérêts sont en jeu. Notamment la paix sociale. Et en la matière le pire ne vient pas d’Haïti.

Une embarrassante filiation
Preval descend d’Aristide. Ainsi qu’on descend d’un arbre en feu. En tentant de s’en éloigner. Preval n’a jamais su, il n’a jamais pu marquer d’avec son mentor la nécessaire distance qui confère l’indépendance. Il se brûla gravement lors de son premier mandat; par l’allégeance faite à Aristide après avoir bénéficié, pour son élection à la présidence, de la "vague Lavallas", cette déferlante (que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de nébuleuse) qui soutient indéfectiblement Jean-bertrand Aristide. La première présidence de René Preval fut terne jusqu’à l’insignifiance. Aristide, éminence grise (et gourou vodou, dit-on), se récompensait en tirant les ficelles dans l’ombre. Et sa détermination à vouloir revenir maintenant en Haïti est fondée sur la certitude que Preval lui doit aussi cette dernière élection. Que Preval lui doit tout et que partant il ne peut rien lui refuser.
Le nouveau président élu d’Haïti essaie encore, avec un peu plus de fermeté cette fois-ci, de trancher les liens qui le lient à son encombrant père spirituel.

Aristide s’expose à des poursuites pénales, et mêmes criminelles, s’il revenait de manière impromptue dans son pays. Il est convaincu de plusieurs chefs d’accusation allant de l’enrichissement illicite, jusqu’à la commandite des assassinats politiques par le biais des gangs dits "Chimères", en passant par le trafic de drogue. Un désagrément que Preval ne saurait lui éviter, surtout que les Etats-Unis (et Preval n’a pas les moyens de passer outre leur avis), ont déjà indiqué qu’ils ne souhaitaient pas voir Aristide revenir en Haïti. Sinon que pour répondre de ses actes devant la justice de son pays. Et Washington de caresser déjà l’idée- ou n’est-ce qu’une menace ?- d’une demande d’extradition de l’ancien président Haïtien pour trafic de drogue.
Et comme si tout cela ne suffisait pas, Preval doit en même temps appréhender, et gérer, la réaction des militants de Lavallas pour lesquels Aristide est réellement un demi-dieu.
Le président élu d’Haïti, s’il n’y prend garde, risque d’entamer un nouveau mandat de tous les dangers ; tant le parcours que les événements tracent devant lui constitue une véritable piste à obstacles. Preval n’a d’autre choix, s’il veut entrer avantageusement dans l’histoire de son pays, que de se débarrasser du boulet qu’est Aristide.

"Le petit père du peuple"
Jean-bertrand Aristide a toujours su galvaniser les foules. Au point de les pousser, hélas parfois, au meurtre. Il s’est toujours reposé, pour ce faire, sur l’image ingénue du jeune et pauvre prêtre féru de la théorie de la libération. Les choses en sont tout autres aujourd’hui. Même s’il jouit toujours d’un énorme charisme, il n’est plus prêtre. Il n’est plus pauvre. Aristide est un homme fortuné. Trop riche pour être honnête, au vu de la communauté internationale. Trop riche pour l’un des pays les plus pauvres de la planète. Trop riche pour cette "plèbe" qui avait jadis vu en lui son semblable.

Comment ferait-il, abrité dans les hauteurs des quartiers riches de Port-au-prince, pour communier avec les laissés pour compte de Cité soleil ? Les prêches, si elles nourrissent l’esprit, ne remplissent pas les ventres. Les discours trop éloignés des faits finissent par lasser. Car d’où vient-il qu’un prêtre Haïtien, même défroqué, se soit constitué une fortune aussi colossale. En si peu de temps. Faisant mieux (ou pire) que les Duvalier, père et fils. Au-delà de l’engouement des masses hurlantes, la suspicion, insidieuse, s’est déjà installée grâce aux médias du monde entier. Aristide, s’il revient maintenant, aura peine à convaincre une fois l’enthousiasme et les passions retombés. Le peuple, les plus démunis, la majorité, aura tôt fait de se rendre compte que le démiurge au parler militant n’est déjà plus des leurs.
Au vrai Haïti n’a pas besoin d’Aristide. Plus maintenant. Moins encore du facteur destabilisant que son retour ne manquerait de constituer à l’égard d’une paix sociale laborieusement conclue.
La seule sagesse commanderait, mais Aristide semble en être totalement dépourvue, que le "bourgeois gentilhomme" qu’il est devenu continue, pour un moment encore, de jouir de son exil doré sud-africain. Avant que son passé ne le rattrape. Avant que, à l’instar de Charles Taylor, la justice internationale n’aille l’y débusquer.
Un jour ou l’autre.

FOIRE D’EMPOIGNE POUR UNE PROFESSION DE FOI

*Cet article a été commis au moment où le sujet qu’il traite défrayait la chronique. Il est de ce fait antérieur à la construction de ce site.

LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ENTRE FOLKLORE ET RECTITUDE POLITIQUE


Une persistante cacophonie a investit le champs de l’expression sur la scène internationale. On déblatère, parfois violemment, sur ce qui convient de dire ou non. Après que tout a été dit. Ou plus tôt montré.
Les caricatures du prophète Mohamad ne radicalisent, au vrai, que les radicaux. Et pour une fois encore, puisque ce n’est pas la première, les positions extrêmes sont tenues par ceux-là mêmes qui d’ordinaire les dénoncent. Une posture exaltée, inaugurée par Georges W. Bush au lendemain des attentats du 9 septembre 2001,

a fait école. Insidieusement. A l’obscurantisme des "masses hurlantes et manipulées", les bien-pensants opposent la clairvoyance des valeurs occidentales, humanistes, universelles. La liberté d’expression, droit imprescriptible s’il en est, se retrouve injustement malmenée. Péremptoirement brandie par les uns, affirmée, posée en absolu, les limites de son application sont bruyamment questionnées par les autres.
Parce que, au delà de la rhétorique et des principes (au demeurant consacrés), il convient d’observer, dans le monde occidental, l’articulation empirique du droit de dire. De dire n’importe quoi.

-Par EMERY G. UHINDU-GINGALA

Le démontage du mécanisme de la liberté d’expression, ainsi que celle-ci se pratique là où elle est seule proclamée souveraine (en Occident), révèle des paradoxes inattendus : des zones protégées (dispositions juridiques), véritables no man’s land des droits spéciaux s’exerçant, non pas au détriment des autres, mais en faveur des uns. S’appliquant à tous mais pas pour tous. Ces lois à la carte, d’inspiration subjective, votée le plus souvent- toujours d’ailleurs- en réaction au tragique, mues par la culpabilité collective, ces lois réparatrices, correctrices, qui en appellent à une parfois nécessaire transaction sociale, socialisante, bousculent néanmoins la stèle érigée à la sacro-sainte liberté d’expression.
Posons ceci qui, en notre société, s’est déjà vu : Des hurluberlus profanent un cimetière juif en en bariolant les tombes du svastika (la croix gammée). Emoi général. Désapprobation internationale. Des chefs d’états et des gouvernements, portant opportunément Kippa, défilent dans les rues en signe de protestation, la mine compassée, attentifs à demeurer dans les champs des caméras. C’est que, la Shoah, conscience meurtrie du peuple juif, constitue désormais, du fait d’un rappel régulièrement asséné, le sacré. Les contempteurs en sont donc instruits, a priori, du prix à payer.
Qu’à cela ne tienne : pour leur défense, les délinquants susmentionnés ne désirent plaider coupables qu’à une accusation réduite au seul chef de vandalisme, convenant que le lieu choisi pour l’expression de leurs…talents artistiques, étaient effectivement inapproprié. Un cimetière n’est assurément pas une galerie d’art.
Rappelons ceci qui est récent : Un humoriste Français, Dieudonné, s’est vu citer dix-sept fois à procès pour s’être moqué, au cour d’un sketch télévisé, des Juifs ! Et non pas de l’Holocauste.
Autre chose ? Le leader raciste Français, Jean-marie Le Pen, a eu à répondre devant la justice de son pays après qu’il ait traité le génocide du peuple juif de détail de l’histoire.
Dans l’actualité, hélas éclipsé par la crise des caricatures du prophète Mohamad, l’ouverture à Mannheim (Allemagne) du procès de Ernst Zündel (1). Révisionniste et négationniste de notoriété publique, Zündel est accusé de propagande antisémite et néonazie. Ses propos sont largement diffusés sur son site Internet et dans diverses publications. Toutes choses frappées d’interdit en Allemagne. Ainsi que dans de nombreux pays occidentaux. La France a légiféré en ce domaine de manière volontariste par la Loi Gayssot (2). Le négationnisme y est réputé comme un délit pénal !
A l’évidence, le droit de dire, de nier, de réfuter certaines choses est astreint à certaines proscriptions et ce, même si la déclaration universelle des droits de l’homme (3) confère à la liberté d’expression un caractère inaliénable en la qualifiant (dans son article 19) de liberté fondamentale de l’homme. Quant à l’ONU et les pays adhérents, ils y ont introduit des dispositions expresses (4) restreignant la liberté d’expression sur des sujets ayant trait à l’incitation à la haine raciale, nationale ou religieuse…
Posons la question sans détours : de ravaler le prophète de l’Islam (dans une caricature ou dans autre chose) au rang de terroriste ne ressortit donc, objectivement, à aucune des ces catégories ?

Del que droit ?
Le 11 septembre est à ce point devenu un prisme déformant qu’il fait oublier les attentats quasi quotidiens perpétrés en Espagne ; l’Irlande du nord ; et même le terroriste Timothy Mc veigh (5) qui inaugura, aux Etats-Unis, la triste ère des attentats sur les grands édifices.
La mauvaise foi seule peut imputer au prophète de l’Islam la paternité des actes terroristes posés par ceux -une minorité - qui se réclament de lui. Il s’agit d’un dangereux amalgame dont on ne peut douter qu’il soit intentionnel. Sinon seulement irresponsable. En tous les cas il renforce les idées reçues, les stéréotypes et les préjugés. Ne donne-t-il pas à penser que le terrorisme est le fait des (seuls) Musulmans ; et que l’Islam le prône, ou du moins, l’autorise. Nulle part dans le Coran Mohamad en appellent au terrorisme. Au contraire.
Les musulmans du monde entier (plus d’un milliard et demie d’individus) se sont sentis ostracisés, eux dont la conscience spirituelle –le sacré- a été insultée, bafouée, méprisée. Au nom de la liberté d’expression !
D’autant que la gratuité de l’acte interroge les motivations qui le gouvernent. La liberté d’expression n’est pas une fin en soit. C’est un moyen, le droit qui autorise et, par voie de conséquence, protège ceux qui en usent. Et qui parfois en abusent.
Le quotidien danois, en publiant les caricatures de Mohamad, ne cherchait pas à affirmer Sa liberté d’expression, un droit qu’au demeurant nul ne récusait.
Mais alors pourquoi ?
La liberté de presse (6), qui participe de la liberté d’expression, se définit aussi comme le droit de dire ou de taire… Ce qui comporte des devoirs et implique des responsabilités. C’est-à-dire des limites. Légales (les restrictions) et éthiques (la morale, l’indicible). Et si les dernières atteignent au sacré, les deux se confondent à la dignité d’autres êtres humains. Pour la préservation de laquelle l’on convoque le bon sens. Et la compréhension. La sagesse. On en appelle à la responsabilité.
A l’instar des autres droits, la liberté d’expression n’est absolue qu’au niveau du principe qui la crée : la liberté tout court !
Les bases sur lesquelles elle est érigée résistent difficilement à l’épreuve de certains faits, ces événements- par l’effroi et la culpabilité qu’ils inspirent a posteriori- qui contraignent le monde entier (en sa portion qui compte réellement) à saper de manière volontariste les fondations du droit de dire. Seule une forte dose de naïveté, ou la mauvaise foi, peut encore conclure au caractère absolu de la liberté d’expression.
Le mutisme observé par les intellectuels et leaders d’opinion Juifs constitue, à ce propos, une regrettable perte d’information. Eux qui savent ce qu’il en coûte de tout entendre, eux qui sont instruits du bien fondé de la retenue, auraient indubitablement rehaussé la qualité du débat en intervenant dans cette controverse.
Prudence, prudence…

Les mots du journaliste
Ce que tout élève sait (en journalisme), c’est que l’information doit satisfaire à certains critères ; dont l’intérêt et l’importance. Et les caricatures de Mohamad : Quel intérêt ? Quelle importance ? Et surtout pour quels (sombres ?) desseins…
On aurait presque envie de se demander : «A qui profite le "crime" ? »
Le journaliste n’est pas un faiseur de mots. La superposition des phrases, pour la beauté de celles-ci, est l’apanage du poète. Dans un journal, la caricature, que l’on ne doit point confondre avec la bande dessinée, informe. Des fois plus, mieux qu’un long article de fond. La charge d’informer, et c’est une mission, se nourrit de rigueur puisqu’elle touche à l’intellect, au savoir qui seul autorise une appréhension et une action éclairée sur l’environnement ambiant. Le journaliste est forcément un intellectuel. La nature de sa profession l’y engage. Il est obligé d’arrimer sa pratique à l’universel, à la culture générale.
Aujourd’hui plus qu’hier (village planétaire oblige) la connaissance des autres permet d’éviter les actions posées dans l’excès, sans nuances, sans distance et qui échouent dans l’atteinte de leurs objectifs. Le journaliste est l’intellectuel par excellence.
Et la posture de l’intellectuel doit être globalisante dans sa prise en compte de tous les réels. Le donné identitaire, même s’il est aujourd’hui évacué par la culture occidentale, laquelle est parvenue à cette élévation qui la distancie de tous les interdits, mais également de toute retenue, l’affirmation identitaire demeure pour les Musulmans (à travers la personne du prophète Mohamad) le soubassement qui régule le quotidien, dès lequel on se projette vers le futur, forcément meilleur. Vers le divin. C’est tout cela, et plus encore, que sont venues fouler aux pieds les caricatures de Mohamad. Au nom d’une liberté d’expression dont les érosions au caractère absolu n’ont assurément jamais été pratiquées en faveur des Musulmans. Ni même à cause de ceux-ci.


Apaisement ou capitulation
Les accès de violence provoqués par la publication des caricatures sont condamnables. Et ils l’ont largement été. L’on peut néanmoins les expliquer. Sans les justifier.
Ce qu’on s’explique aisément : L’acharnement du magazine français Charlie hebdo à publier à son tour les fresques controversées. Et les siennes propres…
C’est un secret de polichinelle que le groupe de Philippe val est confronté à la faillite ; et que la publication des caricatures constituait pour le magazine une aubaine inespérée. Le journal aurait d’ailleurs opportunément quadruplé ses ventes au détail à cette seule occasion. Mais il lui faudra s’avancer un peu plus dans la xénophobie pour renflouer ses caisses. En France, il est vrai, ce ne sont guère les cibles qui manquent. Aussi le jaunisme est un genre auquel nul ne tient réellement rigueur.
Mais, de quelle rigueur se prévaut le prolifique Max Gallo lorsqu’il commet vaille que vaille, pour l’occasion, un brûlot qui ferait pâlir de jalousie Jean-marie Le Pen lui-même. Dans "Fier d’être Français", Max Gallo, historien de son état (intellectuel), pourfend toutes les restrictions à la liberté d’expression, toutes, soutient-il, nommant cependant les unes et non les autres ; il dit n’aimer guère la politique de l’apaisement, qu’il associe à la capitulation ; et pas non plus cette France qui se livre à la repentance tout azimut. Admirable de militantisme.
Que ne l’a-t-on vu, avec la même verve, voler au secours de l’humoriste Dieudonné, presque unanimement condamné, livré à la vindicte populaire, sujet depuis d’un implacable embargo de la part de TOUS les médias français. Et dont les œuvres sont ostensiblement censurées. Pour s’être moqué d’un rabbin, mais n’importe lequel, à la télévision. La liberté d’expression, dites-vous ?
Venu présenter son livre sur le plateau de l’émission "Tout le monde en parle", Max Gallo n’a jamais su, il n’a jamais pu se distancer de la Loi Gayssot (l’une des entorses les plus marquantes à la liberté d’expression ; mais voulue comme telle par la communauté internationale), se perdant savamment dans une évasive généralisation. Pathétique, il précisa cependant ceci, qui voulait tout dire : « …Notre société est bâtie sur un socle judéo-chrétien. Je suis désolé, mais c’est comme ça ! »
L’intellectuel qui n’émet que des opinions sélectives, qui n’a pour son propos qu’un courage diminué de moitié, ne sert assurément ni la liberté d’expression. Ni aucune autre liberté. En ne disant pas tout.
C’est cela la capitulation.
EMERY G. UHINDU-GINGALA


(1) Originaire d’Allemagne; négationniste et révisionniste ayant immigré au Canada en 1958. Il n’y a jamais pu obtenir la nationalité. Ses écrits (depuis 1990) font l’apologie du nazisme, nient la réalité de l’holocauste et dénoncent un complot juif mondial. Déporté en Allemagne en mars 2005, il fait actuellement face à la justice de son pays pour incitation à la haine. (documents Radio-Canada)
(2) Lire l’article 24 bis de la Loi sur la liberté de la presse. Voté le 13 juillet 1990, cet amendement sur la Loi Pleven de 1881 sur la liberté de presse, interdit l’expression et la propagation de tout propos raciste, antisémite ou xénophobe. Elle prévoit précisément des poursuites pénales à l’encontre de quiconque nie la réalité ou l’ampleur de l’holocauste.
La Loi Taubira (du 21 mai 200) elle, tend à la reconnaissance par la France, de la traite négrière et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Elle ne prévoit pour cela aucune sanction expresse, jugeant sans doute que la contestation d’un crime contre l’humanité est déjà, de manière générale, interdite par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres de 1945.
(3) Cfr. Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.
(4) Idem. A noter la déclaration de Koffi Anan, en réaction officielle sur la publication des caricatures du prophète Mohamad : « Je partage la détresse de mes amis Musulmans qui estiment que ces caricatures offensent leur religion. Je défends aussi la liberté de la presse. Mais cette dernière n’est pas absolue. Elle comprend une responsabilité… »
(5) Tristement célèbre membre de l’extrême droite américaine. Auteur de l’attentat d’Oklahoma en 1995. Bilan : 168 morts et 500 blessés. Il a été exécuté le 11 juin 2001, à l’âge de 32 ans.
(6) Cfr. Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 19) de 1948.