lundi, avril 17, 2006

FOIRE D’EMPOIGNE POUR UNE PROFESSION DE FOI

*Cet article a été commis au moment où le sujet qu’il traite défrayait la chronique. Il est de ce fait antérieur à la construction de ce site.

LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ENTRE FOLKLORE ET RECTITUDE POLITIQUE


Une persistante cacophonie a investit le champs de l’expression sur la scène internationale. On déblatère, parfois violemment, sur ce qui convient de dire ou non. Après que tout a été dit. Ou plus tôt montré.
Les caricatures du prophète Mohamad ne radicalisent, au vrai, que les radicaux. Et pour une fois encore, puisque ce n’est pas la première, les positions extrêmes sont tenues par ceux-là mêmes qui d’ordinaire les dénoncent. Une posture exaltée, inaugurée par Georges W. Bush au lendemain des attentats du 9 septembre 2001,

a fait école. Insidieusement. A l’obscurantisme des "masses hurlantes et manipulées", les bien-pensants opposent la clairvoyance des valeurs occidentales, humanistes, universelles. La liberté d’expression, droit imprescriptible s’il en est, se retrouve injustement malmenée. Péremptoirement brandie par les uns, affirmée, posée en absolu, les limites de son application sont bruyamment questionnées par les autres.
Parce que, au delà de la rhétorique et des principes (au demeurant consacrés), il convient d’observer, dans le monde occidental, l’articulation empirique du droit de dire. De dire n’importe quoi.

-Par EMERY G. UHINDU-GINGALA

Le démontage du mécanisme de la liberté d’expression, ainsi que celle-ci se pratique là où elle est seule proclamée souveraine (en Occident), révèle des paradoxes inattendus : des zones protégées (dispositions juridiques), véritables no man’s land des droits spéciaux s’exerçant, non pas au détriment des autres, mais en faveur des uns. S’appliquant à tous mais pas pour tous. Ces lois à la carte, d’inspiration subjective, votée le plus souvent- toujours d’ailleurs- en réaction au tragique, mues par la culpabilité collective, ces lois réparatrices, correctrices, qui en appellent à une parfois nécessaire transaction sociale, socialisante, bousculent néanmoins la stèle érigée à la sacro-sainte liberté d’expression.
Posons ceci qui, en notre société, s’est déjà vu : Des hurluberlus profanent un cimetière juif en en bariolant les tombes du svastika (la croix gammée). Emoi général. Désapprobation internationale. Des chefs d’états et des gouvernements, portant opportunément Kippa, défilent dans les rues en signe de protestation, la mine compassée, attentifs à demeurer dans les champs des caméras. C’est que, la Shoah, conscience meurtrie du peuple juif, constitue désormais, du fait d’un rappel régulièrement asséné, le sacré. Les contempteurs en sont donc instruits, a priori, du prix à payer.
Qu’à cela ne tienne : pour leur défense, les délinquants susmentionnés ne désirent plaider coupables qu’à une accusation réduite au seul chef de vandalisme, convenant que le lieu choisi pour l’expression de leurs…talents artistiques, étaient effectivement inapproprié. Un cimetière n’est assurément pas une galerie d’art.
Rappelons ceci qui est récent : Un humoriste Français, Dieudonné, s’est vu citer dix-sept fois à procès pour s’être moqué, au cour d’un sketch télévisé, des Juifs ! Et non pas de l’Holocauste.
Autre chose ? Le leader raciste Français, Jean-marie Le Pen, a eu à répondre devant la justice de son pays après qu’il ait traité le génocide du peuple juif de détail de l’histoire.
Dans l’actualité, hélas éclipsé par la crise des caricatures du prophète Mohamad, l’ouverture à Mannheim (Allemagne) du procès de Ernst Zündel (1). Révisionniste et négationniste de notoriété publique, Zündel est accusé de propagande antisémite et néonazie. Ses propos sont largement diffusés sur son site Internet et dans diverses publications. Toutes choses frappées d’interdit en Allemagne. Ainsi que dans de nombreux pays occidentaux. La France a légiféré en ce domaine de manière volontariste par la Loi Gayssot (2). Le négationnisme y est réputé comme un délit pénal !
A l’évidence, le droit de dire, de nier, de réfuter certaines choses est astreint à certaines proscriptions et ce, même si la déclaration universelle des droits de l’homme (3) confère à la liberté d’expression un caractère inaliénable en la qualifiant (dans son article 19) de liberté fondamentale de l’homme. Quant à l’ONU et les pays adhérents, ils y ont introduit des dispositions expresses (4) restreignant la liberté d’expression sur des sujets ayant trait à l’incitation à la haine raciale, nationale ou religieuse…
Posons la question sans détours : de ravaler le prophète de l’Islam (dans une caricature ou dans autre chose) au rang de terroriste ne ressortit donc, objectivement, à aucune des ces catégories ?

Del que droit ?
Le 11 septembre est à ce point devenu un prisme déformant qu’il fait oublier les attentats quasi quotidiens perpétrés en Espagne ; l’Irlande du nord ; et même le terroriste Timothy Mc veigh (5) qui inaugura, aux Etats-Unis, la triste ère des attentats sur les grands édifices.
La mauvaise foi seule peut imputer au prophète de l’Islam la paternité des actes terroristes posés par ceux -une minorité - qui se réclament de lui. Il s’agit d’un dangereux amalgame dont on ne peut douter qu’il soit intentionnel. Sinon seulement irresponsable. En tous les cas il renforce les idées reçues, les stéréotypes et les préjugés. Ne donne-t-il pas à penser que le terrorisme est le fait des (seuls) Musulmans ; et que l’Islam le prône, ou du moins, l’autorise. Nulle part dans le Coran Mohamad en appellent au terrorisme. Au contraire.
Les musulmans du monde entier (plus d’un milliard et demie d’individus) se sont sentis ostracisés, eux dont la conscience spirituelle –le sacré- a été insultée, bafouée, méprisée. Au nom de la liberté d’expression !
D’autant que la gratuité de l’acte interroge les motivations qui le gouvernent. La liberté d’expression n’est pas une fin en soit. C’est un moyen, le droit qui autorise et, par voie de conséquence, protège ceux qui en usent. Et qui parfois en abusent.
Le quotidien danois, en publiant les caricatures de Mohamad, ne cherchait pas à affirmer Sa liberté d’expression, un droit qu’au demeurant nul ne récusait.
Mais alors pourquoi ?
La liberté de presse (6), qui participe de la liberté d’expression, se définit aussi comme le droit de dire ou de taire… Ce qui comporte des devoirs et implique des responsabilités. C’est-à-dire des limites. Légales (les restrictions) et éthiques (la morale, l’indicible). Et si les dernières atteignent au sacré, les deux se confondent à la dignité d’autres êtres humains. Pour la préservation de laquelle l’on convoque le bon sens. Et la compréhension. La sagesse. On en appelle à la responsabilité.
A l’instar des autres droits, la liberté d’expression n’est absolue qu’au niveau du principe qui la crée : la liberté tout court !
Les bases sur lesquelles elle est érigée résistent difficilement à l’épreuve de certains faits, ces événements- par l’effroi et la culpabilité qu’ils inspirent a posteriori- qui contraignent le monde entier (en sa portion qui compte réellement) à saper de manière volontariste les fondations du droit de dire. Seule une forte dose de naïveté, ou la mauvaise foi, peut encore conclure au caractère absolu de la liberté d’expression.
Le mutisme observé par les intellectuels et leaders d’opinion Juifs constitue, à ce propos, une regrettable perte d’information. Eux qui savent ce qu’il en coûte de tout entendre, eux qui sont instruits du bien fondé de la retenue, auraient indubitablement rehaussé la qualité du débat en intervenant dans cette controverse.
Prudence, prudence…

Les mots du journaliste
Ce que tout élève sait (en journalisme), c’est que l’information doit satisfaire à certains critères ; dont l’intérêt et l’importance. Et les caricatures de Mohamad : Quel intérêt ? Quelle importance ? Et surtout pour quels (sombres ?) desseins…
On aurait presque envie de se demander : «A qui profite le "crime" ? »
Le journaliste n’est pas un faiseur de mots. La superposition des phrases, pour la beauté de celles-ci, est l’apanage du poète. Dans un journal, la caricature, que l’on ne doit point confondre avec la bande dessinée, informe. Des fois plus, mieux qu’un long article de fond. La charge d’informer, et c’est une mission, se nourrit de rigueur puisqu’elle touche à l’intellect, au savoir qui seul autorise une appréhension et une action éclairée sur l’environnement ambiant. Le journaliste est forcément un intellectuel. La nature de sa profession l’y engage. Il est obligé d’arrimer sa pratique à l’universel, à la culture générale.
Aujourd’hui plus qu’hier (village planétaire oblige) la connaissance des autres permet d’éviter les actions posées dans l’excès, sans nuances, sans distance et qui échouent dans l’atteinte de leurs objectifs. Le journaliste est l’intellectuel par excellence.
Et la posture de l’intellectuel doit être globalisante dans sa prise en compte de tous les réels. Le donné identitaire, même s’il est aujourd’hui évacué par la culture occidentale, laquelle est parvenue à cette élévation qui la distancie de tous les interdits, mais également de toute retenue, l’affirmation identitaire demeure pour les Musulmans (à travers la personne du prophète Mohamad) le soubassement qui régule le quotidien, dès lequel on se projette vers le futur, forcément meilleur. Vers le divin. C’est tout cela, et plus encore, que sont venues fouler aux pieds les caricatures de Mohamad. Au nom d’une liberté d’expression dont les érosions au caractère absolu n’ont assurément jamais été pratiquées en faveur des Musulmans. Ni même à cause de ceux-ci.


Apaisement ou capitulation
Les accès de violence provoqués par la publication des caricatures sont condamnables. Et ils l’ont largement été. L’on peut néanmoins les expliquer. Sans les justifier.
Ce qu’on s’explique aisément : L’acharnement du magazine français Charlie hebdo à publier à son tour les fresques controversées. Et les siennes propres…
C’est un secret de polichinelle que le groupe de Philippe val est confronté à la faillite ; et que la publication des caricatures constituait pour le magazine une aubaine inespérée. Le journal aurait d’ailleurs opportunément quadruplé ses ventes au détail à cette seule occasion. Mais il lui faudra s’avancer un peu plus dans la xénophobie pour renflouer ses caisses. En France, il est vrai, ce ne sont guère les cibles qui manquent. Aussi le jaunisme est un genre auquel nul ne tient réellement rigueur.
Mais, de quelle rigueur se prévaut le prolifique Max Gallo lorsqu’il commet vaille que vaille, pour l’occasion, un brûlot qui ferait pâlir de jalousie Jean-marie Le Pen lui-même. Dans "Fier d’être Français", Max Gallo, historien de son état (intellectuel), pourfend toutes les restrictions à la liberté d’expression, toutes, soutient-il, nommant cependant les unes et non les autres ; il dit n’aimer guère la politique de l’apaisement, qu’il associe à la capitulation ; et pas non plus cette France qui se livre à la repentance tout azimut. Admirable de militantisme.
Que ne l’a-t-on vu, avec la même verve, voler au secours de l’humoriste Dieudonné, presque unanimement condamné, livré à la vindicte populaire, sujet depuis d’un implacable embargo de la part de TOUS les médias français. Et dont les œuvres sont ostensiblement censurées. Pour s’être moqué d’un rabbin, mais n’importe lequel, à la télévision. La liberté d’expression, dites-vous ?
Venu présenter son livre sur le plateau de l’émission "Tout le monde en parle", Max Gallo n’a jamais su, il n’a jamais pu se distancer de la Loi Gayssot (l’une des entorses les plus marquantes à la liberté d’expression ; mais voulue comme telle par la communauté internationale), se perdant savamment dans une évasive généralisation. Pathétique, il précisa cependant ceci, qui voulait tout dire : « …Notre société est bâtie sur un socle judéo-chrétien. Je suis désolé, mais c’est comme ça ! »
L’intellectuel qui n’émet que des opinions sélectives, qui n’a pour son propos qu’un courage diminué de moitié, ne sert assurément ni la liberté d’expression. Ni aucune autre liberté. En ne disant pas tout.
C’est cela la capitulation.
EMERY G. UHINDU-GINGALA


(1) Originaire d’Allemagne; négationniste et révisionniste ayant immigré au Canada en 1958. Il n’y a jamais pu obtenir la nationalité. Ses écrits (depuis 1990) font l’apologie du nazisme, nient la réalité de l’holocauste et dénoncent un complot juif mondial. Déporté en Allemagne en mars 2005, il fait actuellement face à la justice de son pays pour incitation à la haine. (documents Radio-Canada)
(2) Lire l’article 24 bis de la Loi sur la liberté de la presse. Voté le 13 juillet 1990, cet amendement sur la Loi Pleven de 1881 sur la liberté de presse, interdit l’expression et la propagation de tout propos raciste, antisémite ou xénophobe. Elle prévoit précisément des poursuites pénales à l’encontre de quiconque nie la réalité ou l’ampleur de l’holocauste.
La Loi Taubira (du 21 mai 200) elle, tend à la reconnaissance par la France, de la traite négrière et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Elle ne prévoit pour cela aucune sanction expresse, jugeant sans doute que la contestation d’un crime contre l’humanité est déjà, de manière générale, interdite par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres de 1945.
(3) Cfr. Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.
(4) Idem. A noter la déclaration de Koffi Anan, en réaction officielle sur la publication des caricatures du prophète Mohamad : « Je partage la détresse de mes amis Musulmans qui estiment que ces caricatures offensent leur religion. Je défends aussi la liberté de la presse. Mais cette dernière n’est pas absolue. Elle comprend une responsabilité… »
(5) Tristement célèbre membre de l’extrême droite américaine. Auteur de l’attentat d’Oklahoma en 1995. Bilan : 168 morts et 500 blessés. Il a été exécuté le 11 juin 2001, à l’âge de 32 ans.
(6) Cfr. Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 19) de 1948.