mercredi, février 22, 2012

SENEGAL : UNE AUTOCRATIE QUI SE CACHE MAL

By FoQus Media on Wednesday, February 22, 2012 at 5:50am
Jusqu’à la dernière minute on avait espéré que la démocratie sénégalaise sortirait seule victorieuse du bras de fer que se livraient depuis quelques années déjà l’opposition et le président Abdoulaye Wade. Mais le Conseil constitutionnel en a décidé autrement en validant la candidature du président sortant au mépris de la Loi-cadre qui limite les mandats présidentiels à deux. Or donc cet aréopage, acquis à Wade, a dans le même temps récusé la candidature du chanteur Youssou N’dour dont la popularité avérée aurait fait ombrage au président.
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ

En 1980 Léopold Sédar Senghor quitte volontairement le pouvoir après 20 ans d’un règne sans partage. C’est à ce moment que le Sénégal, qu’il dirigea pourtant à la tête d’un parti unique, est estampillé du sceau de la démocratie. Or donc la présidence de Senghor ne fut pas sans tache, loin s’en faut, puisque ses geôles regorgeaient des prisonniers politiques pour délit d’opinion.
Le plus célèbre d’entre eux, Mamadou Dia- il sera le premier chef du gouvernement du Sénégal indépendant- fut l’un de ses compagnons de parcours politique.
Et son ami ! Il eut le malheur de devenir son contempteur.
Même le savant Cheik Anta Diop (historien, anthropologue et physicien) n’aura guère grâce à ses yeux, puisqu’il lui interdira d’enseigner à l’université. Démocrate, Senghor ?
Démocrate, Wade ? L’actuel président use des méthodes semblables à celles de son illustre prédécesseur. À son tableau de chasse : des journalistes et des patrons de presse, des militants des droits de l’homme…tous interpellés, gardés à vue et parfois même embastillés pour crimes de lèse-majesté ! Car un président sénégalais ça se respecte !
Aussi pour garder le pouvoir Wade a prouvé maintes fois qu’il était prêt à se départir de cette respectabilité qu’il chérit tant pourtant. Spécialiste de la Loi, comme ceux de la bible, il manipule les institutions démocratiques à sa guise, et tourne en bourrique la classe politique sénégalaise. Il se soumet toujours de bonne grâce au verdict des institutions démocratiques, comme par exemple aux "décisions de la Cour constitutionnelle", cependant qu’en sous-mains il en oriente les conclusions. Si le multipartisme a obligé Wade à quelques aménagements de façade, en réalité il n’en finit pas de mettre le Sénégal en coupe réglée depuis plusieurs années déjà. Peu à peu, subrepticement, il s’est glissé dans la peau d’un autocrate tout en donnant le change à l’étranger. Aujourd’hui la communauté internationale n’en revient pas de s’être laissé abuser si longtemps par Abdoulaye Wade. Qu’importe que les circosntances l'aient contraint à se dévoiler, le vieil homme a la ferme intention de durer au-delà du deuxième mandat légalement prévu. Et ce, au mépris de la Constitution au respect de laquelle il appela pourtant jadis tous les acteurs politiques sénégalais.
En attendant il s'achroche au pouvoir. Quitte à ce qu’il se décide de l’abandonner "volontairement"…après vingt ans !

Ses autres faits sont cités
Abdoulaye Wade n’en est pas à son coup d’essai. En douze ans il s’est déjà livré à toutes les offenses à la démocratie : après une réélection douteuse à son deuxième mandat en 2007, il tenta par la suite un passage de témoin en une succession dynastique au profit de son fils Karim. Il dut battre en retraite devant la levée des boucliers de la quasi-totalité de la population sénégalaise. Y compris même dans sa propre famille politique. On murmure qu’il avertit son entourage : « Si ce n’est pas mon fils, ce sera encore moi ! ». Et c’est exactement ce qu’il semble être entrain de vouloir faire. Mais l’opposition sénégalaise se refuse à accepter ce choix binaire entre le père et le fils. Mieux organisée cette fois-ci et regroupée au sein du "M23", elle est résolue à barrer la route à Wade pour un troisième mandat. Par tous les moyens légaux. Or donc les deux premiers assortiments ont d’ores et déjà été battus en brèche par une Cour constitutionnelle acquise au président sortant. Ce comité des "Sages" nommé par Wade lui-même n’a pas dérogé à la règle de la reconnaissance en validant la candidature de leur commettant. Et en déboutant par la suite le recours que déposa l’opposition à propos de la controversée candidature de Wade. Pis, la Cour constitutionnelle a ajouté l’injure à l’insulte faite au peuple sénégalais en rejetant la candidature du chanteur Youssou N’dour. Motif invoqué : ce dernier n’aurait pas atteint le quorum des signatures requises à la validation de sa candidature ! Impensable si l’on sait que l’homme est probablement la personnalité la plus populaire du Sénégal. C’est cette popularité qui, au demeurant, effraie le camp présidentiel : au palais présidentiel on considère Youssour N'dour comme une inutile menace dont il fallait coute que coute écarter du chemin de Wade. Au point même d’accepter de s’attirer l’opprobre du monde entier. Les "Sages" se sont donc chargés du sale boulot, n' agissant pas selon leur conscience que l’on dit d’ailleurs achetée, mais selon leur cœur qui se confond avec leur ventre. On ne mord pas la main qui vous nourrit !

Mémoire sélective
Ironie de l’Histoire : Abdoulaye Wade fut l’un des plus grands pourfendeurs de Laurent Gbagbo lors de la crise postélectorale ivoirienne. "Démocrate" plus que nul autre en Afrique il reçut alors Alassane Ouattara, qui n’était encore rien, avec tous les honneurs dus à un chef d’État ! Mieux, il décria jadis la Cour constitutionnelle ivoirienne pour son impartialité…
Le Sénégal, lui, se trouve encore dans la période pré-électorale, à une semaine du scrutin. Et déjà on y compte les morts. La légendaire image du Sénégalais pacifique risque fort de voler en éclat tant les esprits sont chauffés au fer blanc. Or donc la violence n’est inscrite dans les gènes d’aucun peuple. Seules les circonstances modèlent les comportements au point de porter les passions à leur paroxysme, et ce, pour des peuples que rien ne destinait à un tel déchainement de brutalité.
Assurément le" Printemps arabe" aura marqué les esprits plus qu’on ne le croit. Peut-être parce qu’on y a vu tomber des monuments, des inamovibles, et des incontournables. En tous les cas on observe depuis une cassure tangible séparant nettement "un avant, et un après les révolutions arabes.
Comme hier "Place Tahrir", aujourd’hui c’est "Place de l’Obélisque" que les Sénégalais voudraient aller jeter au président sortant leur "Wade dégage !".
Mais ceux qu’on pourrait appeler déjà "les révolutionnaires sénégalais", ou les "Sénégaulois", buttent encore devant le zèle des brigades anti-émeutes. Celles-ci usent jusqu’ici des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc, avant que de passer aux tirs à balles réelles.
Les événements, qui n’en sont qu’à leur tout début au Sénégal, se déroulent comme dans le remake d’un mauvais film.
Car tout ceci c’est du déjà vu : c'est exactement ce qui s'est passé En Égypte et en Libye pendant l’année qui vient de s’écouler, c’est ce que connait la Syrie à ce moment même…
Wade a réussi à faire oublier qu’il fut le premier président africain, bien avant l’Union africaine qui tergiversait, à demander sans équivoque le départ de Kadhafi. On le vit paradant à Benghazi en passant en revue les éléments du Conseil national de sécurité (CNT). Il n’eut cure qu’on l’accusât d’opportunisme et de trahison envers celui qui fut un généreux donateur de son pays !
Or donc aujourd’hui Wade persiste et signe sa forfaiture, il semble indifférent à tout et marche à contre-courant de l’Histoire comme si tout cela ne le concernait pas. Patriarche, son grand âge l’y prête, et paternaliste, il appelle à l’apaisement comme on parle à des enfants indociles et capricieux. Enfermé dans sa tour d’ivoire Wade ignore ostensiblement l’appel au changement de son peuple, lui qui fit du changement, le "Sopi", son cheval de bataille pour l’accession au pouvoir en 2000.
Aujourd’hui l’usure de ce pouvoir qu’il reçut d’un Abdou Diouf bon perdant, le conduit à s’y accrocher. Wade n’entre pas dans l’Histoire. Il en sort à reculons arcbouté à ses certitudes tel un vulgaire colonel de la junte birmane. Alors même que ces satrapes, saturnins et soldats de plomb qui évoluaient jusqu’ici en marge de la modernité, semblent vouloir alléger leur carcan sur le Myanmar de Sann Suu Kyi. A contrario le soldat Wade, qu’il faut sauver, combat aujourd’hui le pire des combats, il lutte désormais pour l’institution d’une autocratie qu’il ne prend même plus la peine de cacher.
Cependant il aurait tort d’ignorer " le conseil" des États-Unis qui lui enjoignent de passer le flambeau au profit d’une autre génération de dirigeants.
Mais peut-être que son fils Karim réussira à lui faire entendre raison, lui que maitre Bourgi, avocat franco-libanais familier des réseaux franco-africains décrivit comme craintif et résolument hostile à l’émeute. Avant que ce ne soit trop tard il est à souhaiter que l’héritier pressentit au trône du palais de Teranga fera à son père, loin des encenseurs, une lecture plus réaliste du contexte politique du Sénégal. Puisque manifestement Abdoulaye Wade en est incapable.
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ