samedi, décembre 17, 2011

COTE D’IVOIRE : Mission impossible pour Ouattara

By FoQus Media on Saturday, December 10, 2011 at 6:39am
Le transfèrement de l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, à la CPI est susceptible de poser au pouvoir d’Abidjan plus de problèmes qu’il n’est censé en résoudre.

Sous le vernis d’un pays finalement apaisé, à défaut d’être pacifié, une dangereuse grogne couve en Côte d’Ivoire. Un mécontentement qui sourdre par toutes les fissures opérées sur le tissu par la guerre. Une hargne alimentée par le sentiment qu’éprouvent les pro-Gbagbo de subir la "justice des vainqueurs". Le risque est bien réel que ce maelström de dépit mal contenu finisse par une conflagration! Tous les éléments concourant à cette funeste conclusion sont déjà à l’œuvre. Le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Gbagbo vient de suspendre sa participation à tout processus visant la réconciliation nationale. Notamment à la "Commission Dialogue, vérité et réconciliation" mise en place par le président Alassane Dramane Ouattara. Le sort de Laurent Gbagbo a toujours constitué la pierre d’achoppement entre le nouveau pouvoir ivoirien et les caciques du FPI : ces derniers exigeaient la libération pure et simple de leur leader comme préalable à toute entente allant dans le sens d’une paix négociée. Et pour bien montrer leur détermination, le FPI s’est déjà désisté des prochaines législatives organisées par le régime. Malgré que le gouvernement a voulu poser un geste de bonne volonté en libérant de la prison une centaine des pro-Gbagbo. Le FPI, lui, n’y a vu qu’un acte autocratique. Puisqu’au moins la moitié de ces prisonniers a recouvré la liberté sans avoir jamais été jugée ; ou même accusée de quoi que ce soit !

Difficile, dans ce contexte, d’arguer ensuite de l’indépendance de la justice par rapport au pouvoir politique !
C’est ce que dit, narquois, le FPI. Les partisans de Laurent Gbagbo jugent ces libérations de leurs partisans aussi arbitraires que fut leur détention.
Le FPI est une importante formation présente dans la vie politique ivoirienne depuis plus de vingt ans. Son retrait du processus de réconciliation vide cette initiative de sa substance.
Puisque ladite réconciliation ne devra plus s’opérer désormais qu’entre Ouattara et Henry Konan Bédié le chef du PDCI-RDR. Or donc les deux leaders politiques n’ont guère besoin de se réconcilier, ils furent alliés dans la crise post-électorale ivoirienne qui se conclut par la chute de Laurent Gbagbo.
Ils sacrifièrent à un jeu d’alliance opportune, eux qui auparavant avaient été des adversaires acharnés dans la succession de Félix Houphouët-Boigny (1).

Mais encore : le prochain parlement de la Côte d’Ivoire ne pourra réellement être considérée comme une véritable assemblée constituante si l’opposition y est absente. Car à l’heure actuelle le parti de Bédié n’est pas à proprement parler un parti d’opposition au pouvoir. Déjà parce qu’il détient quelques portefeuilles importants dans le présent gouvernement de Guillaume Soro.
Et que s’il n’avait été de l’urgence sécuritaire, le poste de premier ministre était censé échoir au PDCI-RDR…

Les deux camps
Aujourd’hui le président Ouattara jure, la main sur le cœur, que tous les crimes commis pendant la crise post-électorale ivoirienne seront punis. "Tous" ! Qu’importe que ces crimes aient été perpétrés par les protagonistes d’un camp ou par celui de l’autre. Un volontarisme que dément cependant la réalité des faits : à ce jour encore aucune personne du "camp des vainqueurs" n’a été interpelée par la justice ivoirienne. Seuls les pro-Gbagbo en ont fait les frais, alors même que les responsabilités des exactions ont été imputées aux deux camps…
C’est là en tous les cas la conclusion de tous les observateurs sur le terrain (2). Tous sont formels sur le fait que les deux parties au conflit se sont livrées à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité !

D’ailleurs Alassane Ouattara lui-même ne le nie plus. Il a fini par se rendre à une évidence, qu’à récuser, il risquait sa nouvelle crédibilité de démocrate. Raison pourquoi le président ivoirien promet une égale justice pour tous afin de ne pas prêter le flanc à ceux qui l’accusent de pratiquer une "justice des vainqueurs". Mais de la parole aux actes, il y a un monde de défis que le président ivoirien aura bien du mal à relever.
Au premier abord les "COMZONES"(3), ces commandants des milices qui l’aidèrent à vaincre Laurent Gbagbo. Or donc ces seigneurs de guerre continuaient, même après la fin du conflit, à sévir sur les populations civiles des ethnies fidèles à Laurent Gbagbo.

Afin de ramener la paix sociale, mais aussi pour récompenser des hommes qui n’hésitaient déjà pas à se payer sur l’habitant, le président ivoirien a fait de ces chefs des milices des hauts gradés militaires. Tout en intégrant leurs troupes dans la nouvelle armée ivoirienne. Cependant que de lourds soupçons de crimes semblables à ceux imputés au camp Gbagbo pèsent d’ores et déjà sur ces nouveaux officiers supérieurs. Des crimes de guerre et des crimes l’humanité susceptibles de convoquer la CPI !
L’opposition du FPI, quant à elle, y entrevoit une manœuvre du pouvoir d’imposer le fait accompli à la CPI.
Il est vrai que la tournure des événements est de nature à compliquer la tache à la justice internationale. Le gouvernement ivoirien pourra toujours arguer de la difficulté de livrer, comme pour Gbagbo, un grand nombre de ses officiers militaires sans risquer de déstabiliser le pays. Dans le cas, bien entendu, où ces derniers seraient convaincus des exactions dont les accusent les organisations de défense des droits humains. Et il faudrait éventuellement, pour faire exécuter un mandat de la CPI allant dans ce sens, recourir à une force coercitive.
Seulement l’armée ivoirienne d’aujourd’hui, c’est eux !

Crimes rétroactifs
En acceptant que la CPI étende ses enquêtes sur les crimes commis dans le pays en 2002, Alassane Ouattara semble s’être tiré une balle dans le pied. Ces crimes-là ne concernent que peu Laurent Gbagbo, puisqu’ils avaient été perpétrés pendant une tentative de coup d’état contre son régime.
Et c’est justement Guillaume Soro, l’actuel premier ministre, qui mena alors une rébellion contre le président démocratiquement élu, Laurent Gbagbo.
Or donc la CPI a maintenant faite sienne une proposition du procureur Luis-Moreno Ocampo sur la responsabilité directe. Il s’agit d’un principe qui impute au chef la responsabilité des actes criminels perpétrés par les troupes sous ses ordres. Raison pourquoi Jean-Pierre Bemba, l’ancien vice-président de la République démocratique du Congo-RDC, croupit dans les geôles de la Haye. Il y répond des actes commis par ses miliciens en Centrafrique, alors même qu’il n’y avait pas participé. Et qu’il est avéré qu’il n’avait jamais ordonné leur commission. Et pourtant…
Le strict respect de ce principe de responsabilité directe incriminerait directement le premier ministre Guillaume Soro. Car c’est bien ses "Forces nouvelles" qui sévirent sur la Côte d’Ivoire en tentant de renverser le président Laurent Gbagbo en 2002.
Mais ce pays ne peut se permettre d’aller aussi loin dans sa quête de la justice sans en payer le prix fort. Il risquerait alors de sombrer dans une crise bien plus grave que celle dont il vient de se sortir à grand peine.
Surtout que d’aucuns arguent que "la main occulte" d’Alassane Ouattara fut jadis l’instigatrice de ce coup de force de Soro contre Gbagbo. C’est pour ainsi dire le scénario du pire, si un tel cas était avéré.
EMERY UHINDU-GINGANJ

(1)Félix Houphouët-Boigny : Premier président de la Côte d’Ivoire à l’indépendance en 1960.
Il fut le fondateur du Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA). Henry Konan Bédié lui succéda après sa mort survenue en 1993.
(2) L’ONU en Côte d’Ivoire(ONUCI), la Croix-Rouge internationale, et les organisations des droits de l’homme tels Human Rights Watch(HRW)…
(3)COMZONES : Commandants des zones. Les ex-chefs rebelles des Forces nouvelles contrôlaient 10 zones géographiques (toutes situées au Nord de la Côte d’Ivoire) au tout début de la rébellion.