dimanche, octobre 02, 2011

PAUL BIYA: LE NON DESTIN DU CAMEROUN

Il n’est certes pas le pire des potentats africains. Il est l’un d’eux.
Cela seul devrait déjà suffire à l’admonestation, surtout en ces temps où un énième "vent de démocratisation" souffle sur le continent. Or donc il semble que, pour balayer Paul Biya, il faille une tempête. Tant l’homme parait inamovible. Les Camerounais se regardent les uns les autres, chacun comptant sur l’autre pour déclencher le coup de tonnerre libérateur. À l’approche des élections présidentielles (9 octobre 2011) l’opposition, faute d’une stratégie efficace, se croise les doigts semblant compter sur la providence. Mais à l’horizon politique aucun nuage ne vient assombrir le ciel au-dessus de la tête du président sortant. Au contraire les étoiles semblent alignées pour Biya. Il est assuré d’être réélu pour conduire le Cameroun vers…nulle part. Comme d’habitude.
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ

Paul Biya appartient à "l’ancienne école" des présidents africains. De ceux qui évoquent la métaphore du chef coutumier pour se justifier de durer au pouvoir au-delà des exigences de la modernité. Mais puisqu’ils ne peuvent figer le temps, ils s’ajustent. Biya, plus que tout autre, excelle à déjouer les arcanes du jeu démocratique pour se maintenir au pouvoir ad vitae aeternam. Car l’enjeu pour lui c’est de "régner", même pour rien. Puisqu’il ne peut se résoudre à faire autre chose. Mais peut-être ne sait-il rien faire d’autre, et que l’alternance le réduirait à l’oisiveté. Au vrai, ses vingt-neuf ans de pouvoir à la tête du Cameroun confinent à l’oisiveté tant il a conduit son peuple dans un non-destin.
La stabilité sociale qui lui tient de bilan et de programme- Mobutu, avant lui, s’en justifia pour pérenniser son pouvoir dictatorial- aurait justement du lui permettre d’amorcer l’émergence d’une société plus prospère pour ses concitoyens. À défaut d’insérer le Cameroun dans le peloton des "pays émergents." Au lieu de quoi, les Camerounais vivent dans une pauvreté qui ne s’explique. Les pauvres sont de plus en plus pauvres et accroissent chaque jour en nombre. Cependant que les riches sont de plus en plus riches, mais le nombre décroit en raison du délitement de la classe moyenne. Au vrai, aucune action politique de Paul Biya n’a été dirigée, slogan mis à part, dans le sens de la réduction de la fracture sociale. Les inégalités entre riches et pauvres sont devenues si criantes que le président, pour apaiser le mécontentement populaire, en désigne parfois les auteurs dans son entourage. Des caciques du pouvoir se voient ainsi sacrifiés sur l’autel d’une fausse "opération mains propres" destinée à donner le change à une population habituée à se contenter de peu. Le bilan de Paul Biya n’est pas mitigé ainsi que le dit souvent, depuis Paris, une certaine presse faussement contestataire. L’apport du président camerounais est nul! Tout simplement. On a beau chercher, il n’y a rien de significatif à inscrire à son actif.
En vingt-neuf ans d’un règne sans partage

Mauvaise réputation
Le Cameroun est reconnu dans le monde entier pour la performance de ses sportifs dans le football (soccer). Mais aussi pour la qualité indéniable de sa musique. Autant de clichés fortement stéréotypés et d’ordinaire dévolus aux Noirs. Or donc les Camerounais excellent tant en ces deux domaines qu’ils en font aisément oublier cette imagerie d’Épinal.
Mais hormis le football et la musique, le Cameroun s’illustre sur la scène internationale en une performance autrement moins glorieuse : la corruption. Dans son classement (2010) sur l’Indice de perception de la Corruption (IPC), l’ONG Transparency International place le pays au 146ème rang sur 180. Une place que Yaoundé semble garder jalousement depuis une décennie, ne la cédant parfois que pour la reprendre aussitôt. C’est que, au pays de Paul Biya, la corruption a atteint à l’institution. Pire, c’est désormais une valeur culturelle qui applaudit les fortunes instantanées issues de la gabegie et de l’abus des biens sociaux. On méprise celui qui vole un œuf, mais qui vole un bœuf est loué pour son intrépidité. Tel est le Cameroun de Biya : un lieu allégorique. "Ali Baba et les quarante voleurs", c’est Paul Biya et les siens. Sauf qu’ils sont bien plus que quarante ceux qui disposent d’une richesse acquise en appauvrissant leurs concitoyens. C’est un système pyramidal de corruption qu’a érigé le président camerounais. Chacun, à son niveau, peut y trouver son compte. Car c’est souvent la seule façon de survivre dans cette jungle où la prédation et la prévarication ont force de loi.

"Grand corps malade"
Vu de l’extérieur le Cameroun offre une image de sérénité que dément l’effervescence de la presse locale. À Yaoundé comme à Douala les journalistes tancent presque au quotidien la mauvaise gouvernance de Paul Biya. Une fronde qu’ils paient cher par des interpellations intempestives. On ne compte plus les intimidations, les arrestations et les détentions arbitraires des journalistes. Dans le pays la presse constitue le seul contre-pouvoir digne de ce nom, en lieu et place d’une opposition muselée par l’argent. Sinon que par une pesante chape de plomb que le pouvoir lui applique.
Autrement il ne s’y passe rien. Désabusés depuis très longtemps déjà les Camerounais semblent résignés à leur sort. Lequel sort ne leur offre d’autre choix que celui de s’arrimer au "système" ou…rien ! Car à l’horizon il n’y a rien que puisse attendre la population de ce pays riche de son sol, son sous-sol, et de sa ressource humaine. L’entreprenariat y est dynamique mais son élan se trouve freiné par une administration, puisqu’elle est corrompue, qui multiplie les entraves propres à décourager les motivations. De ces faits le Cameroun ressemble à un grand corps malade qui nécessite un traitement de choc. À l’image du pouvoir soporifique de son président. Sauf que nul ne sait d’où peut bien venir ce choc. Ou plutôt l’ultra-choc susceptible de revigorer les membres gourds de ce géant africain amorphe.
Paul Biya s’apprête à rempiler pour un nouveau mandat dont personne au Cameroun n’attend rien. Il a dû, pour ce faire, pervertir la Constitution de son pays en faisant sauter le verrou des candidatures multiples. En d’autres termes, et vu l’état actuel de l’opposition, l’homme est parti pour une présidence à vie. Or donc Biya n’a jamais vraiment conquis ce pouvoir qu’il ne veut plus quitter. Il lui a été "gracieusement" cédé par Ahmadou Ahidjo le premier président de la république fédérale du Cameroun. Qu’on ne s’y trompe pas : en posant cet acte le président Ahidjo ne reconnaissait pas en Biya d’exceptionnelles qualités de gestionnaire ; ni même seulement celle de meneur d’hommes. Il ne s’agissait alors que d’assurer l’équilibre confessionnal pour préserver l’unité du pays. Laquelle passait par la nécessaire fédération des musulmans et des chrétiens. Mais une fois au pouvoir Biya s’empressa d’accuser son mentor de tentative de coup d’état. Il démontrait déjà par là sa propension à la traitrise. Aujourd’hui, puisqu’il n’a plus personne à trahir, il trahit son propre peuple en ne lui promettant…rien.
Or donc qui n’avance recule. Le Cameroun ne fait ni l’un ni l’autre. Il cherche à se faire oublier.
De revendiquer les responsabilités dont on n’a pas les compétences est criminel. Paul Biya est inutile à son pays. Au point d’en être une nuisance.
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ