LE PRINCE ET LA GUERRE
C’est un truc vieux comme le monde, il remonte aux origines de la constitution des royaumes séculaires ; et même millénaires : depuis toujours le Prince, lors il sentait faiblir l’adhésion à son autorité, improvisait une campagne guerrière à l’étranger. Histoire de cristalliser les passions identitaires contre l’ennemi tout en circonscrivant les antagonismes internes envers sa personne. Plus près dans le temps: George Bush, père et fils, ont su tiré profit d’une politique belliqueuse dont Barack Obama se serait bien passée. Tant cette dernière n’est que nuisance pour son premier mandat à la présidence des États-Unis. Or donc pour que le subterfuge fonctionne il faut que l’opinion interne soit convaincue que la relation de cause à effets est...effective ! En d’autres termes, l’équipée guerrière doit démontrer qu’elle est bénéfique, même seulement sur le plan de la sécurité, aux citoyens. Au risque, autrement, de produire l’effet contraire au gain escompté.
À ce propos, et s’il faut considérer les actuelles interventions militaires de la France en Afrique (en Libye et en Côte d’ivoire), force est de constater que l’opinion publique ne suit pas. Les Français n’ont pas la perception que les croisades du "général Sarkozy" participent, indirectement ou non, de leur bien-être. Mais pour autant les apparentes improvisations du président français n’en obéissent pas moins à une logique cohérente. Il n’y a qu’à observer qu’au même moment, telle une partition bien réglée, son gouvernement radicalise ses positions tant sur les immigrés que les musulmans. On débat à tours de bras sur la laïcité, "l’identité nationale", notion vague s’il en est, qu’importe, pourvu qu’on en parle ; tandis que la majorité parlementaire vote une loi contre le port du voile islamique dans les lieux publics. Une première mondiale ! L’amalgame, lui, est voulu, voire souhaité. Le nœud gordien en est le tout sécuritaire ; l’ennemi étant d’ores et déjà désigné. Il est musulman, il est tout simplement l’étranger. La spectaculaire remontée du Front National dans les intentions de vote, laquelle s’est concrétisée dans les élections cantonales qui ont vu le parti de Marine Le Pen battre à plate couture l’UMP, montre que cette dernière rhétorique porte dans l’esprit du Français moyen. Sans que les expéditions guerrières du Prince n’en soient pour autant justifiées. Moralité: ni Kaddafi, ni Gbagbo n’ont jamais empêché quiconque de dormir tranquille en France. Tout simplement !
Quelle justice pour la Côte d’ivoire ? Quatre mois de lutte acharnée pour le pouvoir en Côte d’Ivoire ont charrié leur lot de morts. Le décompte, de huit cents à un millier selon les ONG s’activant sur le terrain des hostilités, est bien moins impressionnant que la nature des décès : les victimes, dans leur grande majorité, ont été exécutées sommairement. D’ordinaire, et c’est d’ailleurs encore le cas en ceci, les exactions sont imputées aux vaincus. N’eut été la vigilance des organisations telles Human Watch Right (HWR), tout le monde aurait conclu que le "camp Gbagbo" s’était seul joyeusement adonné au massacre de ces innocents. La désinformation est aujourd’hui plus difficile qu’elle ne l’était jadis en raison du développement des techniques de communication. Soucieuse de ne plus être accusée de partialité, même l’Onu en Côte d’Ivoire (ONUCI) a du reconnaitre que les Forces nouvelles (FN) s’étaient bel et bien livrées aux innommables exactions qu’on aurait souhaité attribuer au camp adverse. Au vrai elle s’est obligée à cet aveu à reculons afin de ne pas s’avancer d’avantage dans le discrédit en Afrique pour sa gestion controversée de la crise ivoirienne. Trop de témoins sans doute…"The humans are watching" !
En ce qui concerne les assassinats, et quant à leur macabre et sombre arithmétique, les deux camps ennemis repartent dos à dos. De constater ne suffit pas à établir les responsabilités : or donc ni Gbagbo, ni Soro, ni Ouattara n’ont jamais tué personne de leurs propres mains ! Le fait est indéniable. Mais si Alassane Dramane Ouattara (ADO), ainsi qu’il l’a annoncé, a décidé de déferrer Laurent Gbagbo devant la justice c’est bien parce qu’il lui fait porter la responsabilité des actes posés par d'autres que lui; en l'occurence ses hommes. Rien au vrai qui puisse offenser l’intelligence. Ni la logique. C’est d’ailleurs de ce nouveau principe de responsabilité directe, qui est plus chargé judiciairement que la seule coresponsabilité, que se prévaut Luis Moreno Ocampo le procureur du Tribunal pénal international (TPI) pour maintenir le Congolais Jean-Pierre Bemba dans les geôles de La Haye. Alors même que l’ancien vice-président de la RDC n’a jamais, personnellement, participé aux exactions commises par ses troupes en Centrafrique. Aucune preuve ne l’incrimine non plus pour d’éventuels appels ou même seulement des incitations à la violence dont sa milice s’était rendue coupable envers les Centrafricains. Bien plus, l’ex seigneur de guerre congolais aurait même- mais c’est lui qui le dit- sévit durement sur ceux de ses officiers reconnus fautifs de ladite délinquance. En tous les cas ce n’est point là le problème. Il doit payer pour les actions barbares de ceux qu’il dirigeait. Point. En suivant cette logique, au demeurant implacable, on se demande qui sera tenu pour responsable des massacres perpétrés par les Forces nouvelles dans l’Ouest de la Côte d’ivoire ? Guillaume Soro le premier ministre, ou le président Ouattara lui-même ? Mais puisque nul n’aspire à s’incriminer soi-même -c’est là aussi affaire de logique- Ouattara peut-il réellement déclencher l’appareil judiciaire contre son allié et néanmoins seigneur de guerre Guillaume Soro ? Surtout que ce dernier commande la milice qui l’a portée au pouvoir par la France et l’Onuci interposées…
L’un des scénarii les plus plausibles serait que des seconds couteaux et des sous-fifres portèrent courageusement la croix du premier ministre de Ouattara. Autrement, si Guillaume Soro était incriminé, le nouveau pouvoir du tandem Sarkozy-Ouattara ferait long feu. Car le chef reconnu des FN ne l’entendrait sûrement pas de cette oreille. Mais peut-être qu’alors Alassane Dramane Ouattara ferait encore appel à Licorne et à l’Onuci. C’est pour dire que la boîte de Pandore est désormais grandement ouverte en Côte d’Ivoire sans que Sarkozy et Ouattara ne sachent ce qu’il en sortira. Le pays est devenu un pandémonium, théâtre de l’innommable. Gbagbo, maintenant qu’il est neutralisé, n’y est plus pour rien d’autant qu’il a appelé à la paix tout de suite après son arrestation. Pour autant l’on s’achemine vers un simulacre de justice dont seul Laurent Gbagbo ferait les frais. Cependant que les autres leaders "délégueraient" leurs responsabilités à des faire-valoir.
Difficile dans ce cas d’évoquer la réconciliation… Ou sinon l’astuce, le seul scénario qui ferait l’économie de tout danger pour Ouattara, serait d’évacuer tout cet encombrant fatras vers cette douteuse commission "vérité et réconciliation". La coquille est à ce point vide que l’on se doit de la remplir à coups de fumisterie.
Un silence d’or. On peut aisément comprendre que les dictateurs africains se tiennent sagement coi. À qui le tour demain, il vaut mieux se faire oublier. La peur vrillée aux tripes ils craignent désormais plus que tout cette France qui amorce un retour musclé en Afrique, adossée à des principes à l’emporte-pièce taillés sur mesure. Paris s’impose par la force militaire comme jadis aux bons vieux temps de la colonisation. Sus aux Chinois et autres panégyristes de la non-ingérence dans les affaires internes d’un pays souverain. Or donc pour faire de juteuses affaires à son avantage le rapport de forces se conclue plus à la baguette qu’avec la carotte. Paris, contrairement aux autres chancelleries soucieuses d’égalité, a sur ces dernières l’avantage de l’expertise dans l’oppression. Ceci est su de tous. Mais on observe que, bizarrement, même les chefs d’État démocratiquement et honorablement élus- pour rares qu’ils soient sur le continent- ont décidé d’abdiquer leur droit de parole. Au profit d’un silence qui envoie un mauvais message à la France. Campés dans un attentisme qui fleure la couardise et la lâcheté, ces "bons élèves" de la bonne gouvernance pèchent par omission. Comme s’ils étaient d’ores et déjà convaincus que leur avis ne comptait pas, ils se sont empressés de s’appliquer un bâillon que nul ne leur a jamais imposé ! Et Paris, saoulée de ne rencontrer que peu de résistance sur sa marche conquérante d’un statut jadis perdu, n’est plus loin de croire que toute l’Afrique lui fait dorénavant allégeance. Seule la jeunesse s’inscrit encore brouillement en faux contre cet insidieux assujettissement. Hormis bien entendu les jeunes des pays que la France a "libérés" ; et qui croient- ô si jeunesse savait…- tirer de cet éphémère profit une assurance des lendemains enchanteurs. Le réveil risque d’en être que plus brutal pour ces dilettantes qui prétendent jouir d’une paix qu’ils n’auront pas gagnée. Et ceci, contrairement aux jeunes Tunisiens et Égyptiens ! Cependant, quand bien même elle est empruntée à la compromission de leurs ainés, il est difficile de blâmer l’innocente exubérance des jeunes de Benghazi et de ceux de l’Afrique de l’Ouest. Ils n’ont pas la mémoire des affres de la colonisation. Le temps de l’amertume et des regrets dure, hélas, toujours plus longtemps que celui des réjouissances. C’est à cet amer constat que la France a habitué les populations qu’elle a colonisées. Et la colonisation acte II semble déjà avoir fait autant de victimes que la première. Alors même qu’elle ne fait que commencer. Quant aux roitelets africains du monde arabe, et ceux de partout ailleurs dans le monde, ils n’accusent aucune légitimité démocratique face aux peuples qu’ils oppriment de la seule manière qu’ils savent administrer. Ils craignent maintenant la France autant qu’ils ont toujours craint leurs concitoyens- sujets. D’une défiance à l’autre, il faut redouter une puissance militaire qui agit désormais à l’aune des lois étriquées ; et qui porte sa frondeuse offensive au cœur de la sacro-sainte souveraineté des nations. Que celles-ci soient situées en Afrique ne devrait autoriser ni le mépris, ni la condescendance.
À quelque chose malheur est bon… Le nouvel interventionnisme français en Afrique comporte ceci d’intéressant qu’il renvoie de façon abrupte la communauté internationale à des devoirs d’un genre nouveau. Puisqu’il va s’agir, en même temps que seront examinés les agissements d’une grande puissance, de dire le droit international. Pour le bénéfice des Africains forcément. Car ceux-ci seront enfin édifiés, pour ceux qui ne le sont guère encore, sur les deux "principes de droit" dont on se sert aujourd’hui pour les soumettre en entrant chez eux comme dans un moulin ; afin d’y capturer leurs dirigeants les plus…insoumis au néocolonialisme. Ces impostures se font sur la base d’un hypothétique droit d’ingérence humanitaire qu’aucune charte de droits, nationale ou internationale, n’a jamais sacralisée. Parce que pour ce faire il faudrait d’abord vider les complexes questions liées à l’objectivité de ses critères ; ensuite à celles concernant l’application "indifférenciée" de ses arrêts. Mais pas seulement, car est déjà de pleins pieds dans l’autre principe, celui de la responsabilité directe chère au procureur Ocampo du TPI. Qui dans le camp de Ouattara, comme pour Gbagbo, portera la responsabilité des milliers des morts imputés aux FN dans les villes de l’Ouest ; et aujourd’hui à Abidjan même ? Or donc la France est d’ores et déjà si avancée dans l’offense à l’intelligence- elle n’a plus rien à perdre désormais- qu’elle pourrait tout simplement décider d’opposer un déni aux faits. Ou juger sans sourciller- puisqu’elle est également juge et partie- que tous les massacres perpétrés en Côte d’Ivoire l’ont été par les partisans de Laurent Gbagbo ! En tous les cas, et quelqu’en soit l’aboutissement, la France laissera en cette affaire plus que des plumes. Crédibilité, sympathie, lien de confiance, c’est tout cela qu’elle vient de jouer dans une politique à courte vue dont elle escompte des gains. Substantiels et rapides. Avant que le temps ne déjouât ses prétentions, à long terme. C’est ce qui s’appelle ouvrir la boite de Pandore !
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ
Cet article est disponible sur Afrique-Actu:http://afriqueactu.net/26761/afrique/le-prince-et-la-guerre
1 Comments:
La vérité nous n'avons vu des Français manifester par les forces militaires contre la Cote d'Ivoire.Cela suscite des interrogations.Je vois que le peuple Français n'est digne quand il s'agit de l'Afrique.La France est un état voyou. Même les Européens qui viennent dans nos pays Africains ne sont sérieux d'être traiter de façon sérieuse.Ce qui vient de passer en Cote D'ivoire avec une intervention des forces Française est une humiliation du peuple Africains. En tuant des ivoiriens avec la complicité de l'ONUCI c'est pitoyable d'un pays comme la France qui prêtant un pays civilise.Quel honte
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