LA REPUBLIQUE DU GOLF
C’est la plus petite entité politique au monde après la Cité du Vatican. Les deux portions congrues sont enclavées, situées à l’intérieur d’un pays. On y retrouve d’éminences grise pour l’une et…noire pour l’autre. Les messes papales au Vatican sont courues alors qu’au "Golf" un gourou de la finance internationale- un fait susceptible d’éclairer bien des zones d’ombres- officie des messes basses où seuls sont admises les initiés. Versets et Te Deum d’un côté ; sourates psalmodiés de l’autre. Des cultes pour conjurer le même sort : l’étroitesse du lieu de leur pérégrinations. Aussi pour dire que les voies qui mènent à la "fraternité des confessions" empruntent parfois des détours déroutants pour le commun des mortels !
Or dès la République du Golf, du haut de cette tour d’ivoire devenue "la prunelle des yeux du monde", on devrait aisément y voir (sans ce mauvais jeu de mots éculé sur les "Y voient rien") les turpitudes du monde à l’entour. Or ici personne ne semble n’en être touché ni éclaboussé. On y est à l’abri et servi par les airs. C’est que, les dieux de l’Occident, que souvent là-haut on invoque en force louanges, pourvoient au quotidien. A ces salutaires hauteurs on incline à l’indifférence et à l’insensibilité. Ainsi donc ce qui se passe en Tunisie n’est qu’"un détail de l’Histoire". Car l’Histoire, la vraie, la seule qui mériterait qu’on s’y attarde, celle qui devrait faire date, les histoires qu’on devrait léguer à la postérité africaine, cette histoire-là s’écrit sous les yeux ébahis du monde entier à partir de la République du Golf ! Inch’Allah !
Peu de temps avant sa mort, Franklin Boukaka, jeune chansonier engagé du Congo-Brazzaville, posait ceci qui a été oublié avec son souvenir : « …Tout le monde doit mourir un jour. Mais toutes les morts n’ont pas la même signification ! ». Les morts que pleurent les Tunisiens n’égalent toujours pas en "valeur" celles qu’on déplore dans les quartiers "pro-ouattaristes" d’Abidjan ! Pour les unes on crie au TPI ; et on se tait au sujet des autres. Une politique de "deux poids, deux mesures" qui frise l’indécence. La confusion conceptuelle est telle que nul ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer. Ou qui des deux protagonistes- Gbagbo et Ouattara- doit s’en réjouir.
Cette ambivalence de la communauté internationale est tout simplement inquiétante à plusieurs égards. Elle introduit déjà dans le droit international un principe de préférence basé sur une dangereuse subjectivité. Elle s’apparente, par certains côtés, au "droit d’ingérence humanitaire" cher au docteur Bernard Kouchner. Si l’intention est vertueuse, son application soulève de nombreuses questions pratiques qui ne trouvent toujours pas de réponse. Qui est habilité à constater le délit pour ensuite décider de la salvatrice intervention ? Et sur quels critères objectifs ? Qu’en est-il du quorum à atteindre, et de la majorité que devrait retenir cette "assemblée des Justes" : simple ou qualifiée ? Le répertoire, on le voit, peut quasiment s’étendre à l’infini pour peu qu’on est inventif.
Autre sujet d’inquiétude : est-ce à dire que le principe de souveraineté des nations, consacré par…les Nations Unies est désormais obsolète ; ou seulement que le cas de la Côte d’Ivoire ne constitue qu’une parenthèse. Et qu’une fois qu’elle sera refermée les choses reprendront leur cours normal.
A supposer que cette même Histoire, qui ne manque pas d’ironie comme on le sait, présentait à la communauté internationale une situation en tous points analogue à celle qui prévaut en Côte d’Ivoire. Ou sinon pire, histoire d’augmenter le degré de complexité. Non pas ailleurs dans le monde, mais en Afrique ; puisque la même chose ou pire est actuellement en cours au Belarus (en Europe orientale !) sans que quiconque s’en troublât outre mesure. En Afrique donc- le lieu de toutes les dictatures- à l’Ouest de préférence : Un autre Gbagbo, une CEI, une Cour constitutionnelle roulant ouvertement pour le président sortant, des Ouattara et Soro pleurnichant qu’on alla confisquer leur du à Gbagbo. Advenant telle éventualité que feraient la communauté internationale et ses seconds couteaux de la CDEAO ? Irait-on jusqu’à lever, quoiqu’il en coutât, deux corps expéditionnaires conjoints pour aller couronner l’autre Ouattara, aussi ? Appellera-t-on à la rescousse la légion étrangère (de l’armée française) pour déloger, ou "exfiltrer" selon la nouvelle terminologie dont on use désormais abondamment dans la République du Golf, ce Gbagbo-là ? Puisque le ridicule, hélas, ne tue pas, les esprits sont maintenant bien préparés à assister à une énième loufoquerie de la communauté internationale, du genre : « Non, non, non, il s’agit de ce Gbagbo-ci, pas de l’autre ! ».
Tunisiens et Biélorussiens, qui sont tragiquement entrain de l’expérimenter, savent désormais que c’est là un scénario des plus vraisemblables. Il n’y a pas qu’eux d’ailleurs. Tous les observateurs de la scène internationale n’en reviennent tout simplement pas que telle partialité puisse s’exprimer aussi ouvertement. Même si peu ont le courage de confesser publiquement leur désapprobation. Car en ces temps de la moralisation des mœurs ivoiriennes il est de bon ton de s’opposer en silence. Quitte à se trouver ainsi complice d’une grave perversion (de l’esprit et de la lettre) du droit international ; lequel est servi à la carte tel un trivial menu de restaurant. Un "fast food" à consommer pendant que c’est encore chaud, avec une persistante amertume au sortir de la curée. Car c’est bien de ce pain que tous sont invités à partager : Laurent Gbagbo offert en holocauste pour faire un exemple tiré ex nihilo. La rectitude politique cumule, en cette fin de la première décennie du XXIe siècle, à son paroxysme…
Deux présidents pour… deux pays
C’est parce que les Français de Côte d’ivoire ont obstinément refusé d’obtempérer aux injonctions répétées de leur président, qui leur demandait de quitter précipitamment Abidjan, que Nicolas Sarkozy a du, la mort dans l’âme, d’observer son récent mutisme. Et même de se distancer de l’option militaire. Aussi parce que les pays bellicistes ont été obligés de s’incliner devant la volonté du Nigérian Goodluck Jonathan de soumettre la croisade à l’assentiment du Conseil de sécurité de l’Onu. Afin que le coup de force trouvât un fondement légal. Par ce judicieux biais le président nigérian refuse d’assumer la responsabilité historique du pompier-pyromane. Il sait, tout le monde sait, que la Chine et la Russie sont agacées que l’Occident s’octroyât le droit quasi divin de décider de la destinée des peuples. Surtout que le même zèle est rarement démontré lors il s’agit de lutter contre des fléaux plus virulents que Gbagbo : la famine, l’analphabétisme, le VIH, et surtout le paludisme qui est la plus grande cause de mortalité en Afrique. Bien plus que les guerres dont parfois la main de l’Occident n’est pas étrangère. Au vrai, au milieu du tintamarre ambiant, c’est sur la puissance de feu du Nigéria que tous comptent afin d’embraser allègrement toute la sous-région. Il y a fort à parier que l’armée nigériane ne s’engagera pas dans cette aventureuse lubie.
Autre chose : le soutien dont Laurent Gbagbo bénéficie de la part de certaines personnalités publiques françaises a trouvé écho au sein même de la majorité présidentielle. L’un des caciques de l’UMP, Jean-Pierre Raffarin, premier ministre de Jacques Chirac, professait sans ambages sur TV5 que « La France doit rester en retrait…elle doit exprimer ses valeurs par l’exemple ; et non par les leçons ». A l’évidence, là n’est pas ce à quoi on a assisté dans la crise postélectorale ivoirienne : la France s’est ingérée sans nuances dans la politique interne d’un pays souverain. Cependant qu’elle s’est tue sur le cas tunisien. Et ne sert aujourd’hui que de prudents et prudes avis aux autorités égyptiennes ; lesquels avis, au vrai, ne veulent rien dire. Doit-on conclure que dans les événements actuels, et pour d’autres qui les précédaient, Paris "exprimait ses valeurs par l’exemple et non par les leçons" ? Or donc il y a peu, n’est-ce pas la France qui criait, indignée, à l’ingérence quand le Conseil de l’Europe soupçonnait son gouvernement de s’être livré au racisme sur le traitement de l’épineuse question des Rroms ? Aujourd’hui elle affecte de s’être éloignée du cas ivoirien pour endormir les suspicions ; lors même que tout le monde sait qu’en coulisse elle s’ingénie activement à une résolution du conflit dans le sens de ses desideratas. Lesquels, il faut le craindre, ne s’harmonisent pas nécessairement avec ses intérêts à plus ou moins long terme. L’égo démesuré de Sarkozy ne constitue pas un atout pour la politique internationale de son pays. Qu’à cela ne tienne, au fil du temps la stratégie du gouvernement français, en butte à l’intransigeance de Laurent Gbagbo, se précise. La République du Golf a désormais vocation de s’étendre vers le Nord en une logique de partition qui va bientôt dire son nom. Puisqu’il y a deux présidents, il faut deux pays !
Le sort de la Côte d’Ivoire semble scellé, sa destinée s’apparente tragiquement à ceux de la Bosnie et du Kosovo, ces républiques des Balkans inventées de toutes pièces par la communauté internationale. On dit de l’Histoire qu’elle bégaie. À l’Armée de libération du Kosovo, (UCK) elle impute aujourd’hui les exactions commises sur les Serbes pendant sa "guerre de libération" du peuple bosniaque. Aux Forces nouvelles, jumelles dans l’insurrection, l’Histoire ne manquera pas de redistribuer la part des crimes qui se profilent. Le "monde civilisé" ferma alors les yeux et la bouche sur la barbarie des premiers-« qui ne dit mot consent »- il fera de même pour les autres. Entretemps la République du Golf prend forme. Née aux forceps par la "volonté souveraine de la communauté internationale". Avec l’aide mercenaire d’une poignée de potentats africains en mal de respectabilité ; et de cette légitimité qu’en récompenses pour leur allégeance leur promet ceux dont jadis- il y a seulement cinquante ans- toute l’Afrique contesta la tutelle. Et le mépris. Décidément l’Histoire n’en finit plus de bégayer…mais pour dire du mal des Africains. Que leurs dirigeants politiques actuels vendraient père et mère- a fortiori les populations dont ils n’ont que faire- pour peu que l’Occident leur assurât le pouvoir !
Les lieux de la République du Golf grouillent désormais de monde. À se demander comment on y accède, puisqu’ils sont soumis à un "sévère blocus". Aux dernières nouvelles Henry Konan Bédié, lesté de femme, enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants, y auraient sollicité avec succès asile. Pendant que Guillaume Soro en sortait aisément pour aller s’assurer la loyauté d’un parterre de brigands. Un vrai moulin, quoi…
Toujours est-il que l’Occident, forte de sa récente…et triste expérience kosovare, récidive. Même si elle n’a pas la main heureuse en la matière, elle est paisiblement entrain de "créer" un nouvel état africain. Comme au bon vieux temps du foccardisme. Peut-être est-ce l’âpre concurrence chinoise sur le continent qui commande que l’on remette sur le métier les vieilles méthodes d’antan. Lesquelles démontrèrent, en leur temps, leur efficacité. Bègue, l’Histoire ? Ou plutôt la transcription mémorielle collective frappée par d’intermittentes crises d’amnésie. Tel un gruyère, ce fromage troué ! À la blague, mais non sans une pointe d’admiration, les Africains aiment à dire que « Dieu est grand, mais Blanc n’est pas petit ! ». Inch’Allah !
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ
Cet article est également disponible sur http://afriqueactu.net/
1 Comments:
Le problème est que le chansonnier que vous citez en exemple dans votre article a été assassiné par SASSOU NGUESSO, l'ami de MM. OUATTARA et SORO.
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