DIX QUESTIONS A ANGE-FELIX PATASSE SUR LES GRANDS ENJEUX MONDIAUX
Monsieur le président, qui doit-on interroger à propos des questions portant sur le respect de l’environnement dans le monde ? L’agronome, et donc le scientifique que vous êtes, ou l’homme politique que vous êtes aussi. D’autant qu’aux préoccupations du responsable politique se rattache également et nécessairement, et il y a là bien une logique, l’accélération de tous les leviers économiques, moteur de développement de son pays.
Pour moi la question ne se pose qu’en termes de responsabilités. Quand il est question de la survie de la terre, scientifique et politique doivent conjuguer leurs efforts dans le sens d’une harmonisation de vues. C’est là par ailleurs une responsabilité commune à l’humain puisque la question touche à l’humanité. Le monde est un système aux éléments reliés, impliqués les uns aux autres, imbriqués les uns dans les autres. L’intangibilité des frontières n’est qu’un principe juridico-politique dont se rient les éléments naturels quand se déclenche leur furie. Hélas les récents événements, les catastrophes naturelles qui sévissent indifféremment un peu partout dans le monde, nous instruisent tragiquement sur cette réalité au demeurant avérée. Mais l’homme, dans sa course effrénée pour la production de richesse, s’obstine à ne pas retenir la leçon.
Tous les pays ont-ils le droit de posséder l’arme nucléaire ainsi que le prétend l’Iran, ou bien cette arme constitue-t-elle une menace pour l’humanité entre des mains "irresponsables" ? Que pensez-vous de la notion d’états voyous chère à George W. Bush ?
L’Inde et le Pakistan, avant de devenir des puissances nucléaires, guerroyaient sans relâche à propos du Cachemire. Depuis, ces deux pays qui n’en faisaient qu’un jadis, ont opté pour la diplomatie dans la résolution de leur sempiternel conflit. Je pose un constat et non un agrément à la détention de l’arme nucléaire. Si sa dimension dissuasive est réelle, il reste que pour une raison ou une autre un pays pourrait décider, en dépit de tout, de la lancer contre un autre. Encore aujourd’hui, plus d’un demi-siècle plus tard, l’Histoire s’interroge toujours sur Hiroshima et Nagasaki : l’utilisation d’une telle arme de destruction massive sur les populations civiles nippones répondait-elle vraiment à un impératif de paix ? Par ailleurs : bien que tous aient souscrit au principe de non prolifération des armes nucléaires, combien le respecte ? Aussi, il faut comprendre, et à une échelle qui ne diminue pas la dangerosité de son usage que, les mines anti-personnel et les bombes à sous-munitions ne font jamais de victimes au sein des populations des pays qui les fabriquent et les commercialisent.
Quelle évaluation faites-vous sur les droits de la femme dans le monde ?
C’est dans des pays du Sud que la femme (Inde, Pakistan, Bengladesh…et aujourd’hui le Brésil) a accédé au pouvoir suprême. Même si les droits fondamentaux de la femme ne sont pas juridiquement plus avancés dans certains pays africains, elle y jouit néanmoins d’un statut…disons spécial, qui la distingue des autres femmes de par le monde. Ceci dit, ne nous y trompons pas, la femme doit cesser d’être traitée comme une enfant immature, puisqu’elle est capable de diriger un pays. Il n’y a donc aucune raison objective pour que le droit à l’éducation soit une faveur pour les filles ; alors que ces dernières performent aussi bien, sinon mieux, que les garçons à l’école. En conclusion, si les droits de la femme ont connu une réelle avancée dans le monde et ce même dans les contrées les plus obscurantistes, nulle part sur notre planète la femme n’égale, dans les faits, l’homme. C’est à partir d’une révolution culturelle qu’il faut faire évoluer les mentalités, dépouiller le mâle du carcan du conservatisme afin d’aboutir à un rééquilibrage ; car le statu quo n’est tout simplement plus possible. Réparer et non pas renverser la tendance comme c’est le cas dans bien de pays occidentaux où une culpabilité indue a conduit à la victimisation de l’homme. Au détriment de la femme finalement. Et non pas en sa faveur. Pour conclure, le sort de la femme dans le monde doit interpeller toutes les consciences. Si l’on veut que des barbares ne trouvent plus à perpétrer impunément des viols sur les plus faibles en se justifiant par une masculinité qui établirait, mais de "droit divin", un rapport de maitre à esclave.
Et la lutte contre le sida (HIV) ?
Mon pays, la Centrafrique, est particulièrement concerné par ce fléau. Inutile de dire que c’est pour moi une préoccupation quasi quotidienne. L’équation est simple : là où les campagnes de sensibilisation abondent, le mal recule. En Afrique, à quelque exception près, rien ne semble arrêter la progression du sida(HIV). L’adhésion au processus de prévention appelle une sensibilisation tout azimut. Peu ont les moyes, ou la volonté, de le faire. Savez-vous que la première cause de mortalité en Afrique subsaharienne n’est pas le sida mais le paludisme… Or celui-ci ne sévit pas en Occident. Puisque les populations des pays riches en sont fortuitement épargnées, ces pays ne manifestent que peu d’intérêt à œuvrer à sa prévention et à son éradication.
L’éradication de la faim dans le monde : un vain slogan ?
Là aussi, décennie après décennie, on assiste à des vœux pieux. Les échéances sont toujours repoussées quand vient le moment de les atteindre. On se contente des statistiques qui souvent ne reflètent aucune réalité sur le terrain. Il en va de même pour "l’éducation pour tous avant l’an 2000". Ce genre d’objectif ne semble être fixé que pour ne jamais être atteint. Des voix autorisées, spécialistes du domaine, affirment que le coût de fabrication d’un seul avion bombardier américain suffirait à éradiquer la faim dans le monde. Vrai ou faux, toujours es-il que l’effort de guerre en Afghanistan surpasse en somme engagées tout ce dont la famine et l’éducation ont besoin pour apporter des solutions à l’une et l’autre. Et ce, de façon durable.
Venons-en au sujet qui fâche en Afrique : la bonne gouvernance
Avez-vous remarqué que cette notion ne s’appliquait qu’aux pays du Sud ; comme si ailleurs la question était dépassée. Alors même que chaque jour des hommes politiques de ces pays sont éclaboussés par des scandales liés à la corruption et au conflit d’intérêt. Il est vrai qu’en Afrique l’impunité encourage des pratiques contre lesquelles la loi sévit en Occident. Je conviens qu’au niveau des résultats cela fait une énorme différence entre "un pays qui marche et un autre où rien ne marche". Car la corruption, pour ne citer qu’elle, est un frein au développement et une des grandes causes de l’appauvrissement des populations. La solution, que tout le monde connait d’ailleurs, est dans l’institution d’un véritable état de droit. Les organes judiciaires doivent impérativement être indépendantes des organes politiques afin que la loi, lorsqu’elle est convoquée, puisse suivre son cours sans entraves. Il reste cela à faire en Afrique. Mais la situation n’est pas propre à l’Afrique. Dans bien de pays occidentaux les plus réputés au niveau de la démocratie on constate souvent des interférences du politique dans l’appareil judiciaire. Mais cela ne justifie pas que l’Afrique importe les mauvaises pratiques de l’Occident. L’autre sujet qui fâche, comme vous dites, c’est le respect des droits humains. Quand on est réellement l’élu du peuple, on ne ressent pas le besoin de se méfier de ceux qui vous ont librement choisis et acceptés. Il y a ceux qui usurpent le pouvoir, et ceux qui modifient la Constitution pour devenir des présidents à vie. Les uns et les autres savent bien qu’ils n’ont pas la faveur du peuple .Ils finissent par se radicaliser en suspendant les droits les plus fondamentaux de leurs concitoyens. Pour le bien de tous, les élections se doivent d’être libres et transparentes afin d’éviter qu’un mandat présidentiel ne soit consacré qu’à gérer la suspicion. Un dernier point : certains croient qu’ils ont le droit de confisquer le pouvoir à la pointe du fusil. C’est une catégorie qu’on ne retrouve pas dans les pays occidentaux. Mais bizarrement, ce sont les mêmes Occidentaux qui imposent à un pouvoir démocratiquement élu de s’assoir à la table de négociations, et sur le même pied d’égalité, avec des hors-la-loi qui méprisent la volonté populaire.
Le Dr Bernard Kouchner, fondateur de "Médecins sans frontières" a jadis invoqué le droit à "l’ingérence humanitaire". Ce principe devrait autoriser la communauté internationale à recourir, si besoin en était, à l’usage de la force militaire pour libérer un peuple de l’oppression. N’est-ce pas une innovation positive dans le droit international ?
Il faut être prudent. En premier lieu il convient de s’interroger sur la faisabilité d’un tel projet. Son aspect purement technique pose déjà problème. Qui dispose réellement des ressources humaines et matérielles suffisantes pour organiser de ce genre d’expédition ? Car à bien considérer, c’est presque la moitié de la population humaine qui vit sous une servitude ou un joug quelconque. C’est donc dans l’autre moitié de la population terrestre que ce bon docteur Kouchner, dont je salue par ailleurs le volontarisme, irait constituer son corps expéditionnaire. D’autres questions se posent : qui devrait décider des actions à prendre et sur quelle base objective ? Ne va-t-on pas assister à des règlements de compte déguisés en ingérence humanitaire ? La communauté internationale prendrait-elle le risque d’aller en guerre contre des nations puissamment armées, ou au contraire n’agira-t-elle que sur l’Afrique dont elle bafoue aisément la souveraineté. Croyez-en mon expérience : une telle initiative consisterait à ouvrir la boite de pandore. Nul, hélas, ne sait où tout cela pourrait aboutir. Entre deux maux, dit-on, il faut choisir le moindre. En ce qui a trait aux destinées des populations l’incertitude ne pourrait jamais constituer le moindre mal. En aucun cas !
Les élections présidentielles en Afrique s’apparentent aujourd’hui à un véritable parcours du
combattant.
Comme à chaque fois qu’il s’agit de produire le droit. Et ce, partout dans le monde toutes époques confondues. Il faut cependant considérer plusieurs choses. D’abord la Constitution, en tant que Loi-cadre qu’aucune aucune loi ne peut soumettre. Nous parlons ici d’une "vraie" constitution, expression réelle de la volonté du peuple. Une constitution qui devrait nécessairement provenir soit d’un référendum libre, soit d’un parlement non assujetti à un individu. Lorsqu’une telle Charte est produite, c’est-à-dire dans les conditions démocratiques que je viens d’énoncer, personne ne peut la contester. Sauf à réformer, toujours avec l’assentiment populaire, un ou plusieurs de ses textes. Toutes les autres institutions étatiques doivent agir dans le cadre strict de ces textes fondamentaux qui par ailleurs les "créent" en leurs donnant automatiquement la légitimité essentielle à leur exercice. Dans le pays où l’on trouve un tel contexte de respect pour l’esprit et la lettre de la Loi, là est la démocratie. Deuxième point : les acteurs politiques. Trop souvent les ambitions des uns et des autres dépassent leur adhésion à la Loi de leur pays. Même s’ils l’avaient voulue, appelée de tous leurs vœux, même s’ils avaient battu campagne en faveur de son instauration. C’est sans scrupules qu’ils vomiront la Loi une fois que leurs propres intérêts ne seront pas confirmés par ses textes. Qu’importe alors le peuple qu’ils veulent diriger à tout prix…
On parle beaucoup depuis quelques années de la réforme de l’ONU. Surtout de son organe
politique qu’est le Conseil de sécurité. Etes-vous de ceux qui réclament ce changement ?
Une lecture historique à rebours nous renseigne que l’ONU été constituée dans un contexte bien précis qui est celui de l’après deuxième mondiale. Aujourd’hui plus d’un demi-siècle plus tard ce contexte est largement dépassé. De même le Conseil de sécurité ne regroupait à l’époque que les vainqueurs de l’Allemagne nazie. Déjà la présence de la Chine au sein de cet organe est la preuve que d’autres considérations objectives ont été prises en compte. Car Beijing n’était pas signataire du Traité de Versailles. Economiquement, des pays tels l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud pèsent plus lourd que la Grande-Bretagne ; lequel siège pourtant au Conseil de sécurité en qualité de membre permanent, et disposant de facto d’un droit de véto. Ce fait ne correspond à aucune réalité actuelle. Même militairement les données ont depuis longtemps déjà changé. L’arme nucléaire est désormais détenue par le Pakistan et bientôt la Corée du Nord et l’Iran. Ce n’est donc manifestement pas là le critère d’adhésion à cet aréopage. Mais alors quoi ? Ceci vaut aussi pour le G8. Même s’il a été élargi à un G20 seulement économique, le G8, lui, demeure et l’on y discute de la destinée du monde. Le message que les grandes puissances nous envoient en est celui-ci : d’accord pour l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU. Il nous reste toujours notre G8 pour vous imposer nos desideratas.
Et l’unité africaine. Est-ce une entité viable ou seulement un vœu pieux ?
C’est un projet tout à fait viable et même souhaitable. Il faut saluer la vision de Mouammar Kadhafi pour l’Afrique. C’est une aberration de constater que des Africains, même ceux partageant une même zone géographique, ne peuvent circuler librement d’un pays à l’autre. Alors que de chaque côté de la frontière on retrouve les mêmes ethnies, partageant langue, culture et parfois des liens familiaux. Les barrières au commerce constituent autant de freins au développement. Il n’est pas normal que des pays africains commercent plus facilement avec l’Europe qu’entre eux. Alors que ces mêmes Européens ont ressenti le besoin de s’unir pour devenir plus forts que les autres économiquement, politiquement et diplomatiquement. L’Afrique ne pourra pas faire l’économie de la même union. Un développement intégré est la seule voie possible pour parvenir à constituer une force crédible aux yeux du reste du monde. L’amélioration du bien-être des populations africaines ne peut se faire qu’à ce prix. C’est à la fois un moyen d’y parvenir qu’une fin en soi. Les Africains sont d’ores et déjà prêts, c’est la volonté politique de leurs dirigeants qui fait défaut. Du moins la frilosité de ces derniers à engager leurs populations dans ce nécessaire processus du renouveau. Les dirigeants africains résistent à céder une parcelle de souveraineté à l’union ; or c’est là l’exigence principale, la condition sine qua none à l’intégration. En ce qui concerne mon pays, elle s’appelle la Centrafrique parce qu’elle effectivement située au centre de l’Afrique. C’est de Barthélemy Baganda, le premier président de la Centrafrique, que vint l’idée d’une union africaine autour de son pays comme capitale. C’est donc un Centrafricain qui est le "père de l’UA " que l’on connait aujourd’hui. Une œuvre qu’il faudra bien achever un jour, car les grands ensembles économico-politiques constituent une réponse efficace aux hégémonies. C’est la solution pour l’Afrique. Un passage obligé vers un réel développement de toutes nos ressources; pour un mieux-être de nos populations. C'est cette Afrique unie que nous devons laisser à la postérité!
Propos recueillis par EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ
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