mercredi, octobre 13, 2010

REALPOLITIK !

Contrairement aux principes consacrés par l’Onu et auxquels souscrivent vertueusement ses membres, la justice internationale sacrifie à des motivations plus prosaïques et généralement peu regardantes sur le Droit. En la matière, les états pèchent souvent par action et par omission. Une série de facteurs pris individuellement ou conjugués les uns aux autres expliquent, même lorsqu’ils ne peuvent tout simplement pas les justifier, les positions des pays sur la scène internationale : les intérêts ponctuels, les liens traditionnels, l’opinion publique, les groupes de pression, la proximité des élections, les sondages d’opinion…
EMERY G. UHINDU-GINGALA

Le Conseil de sécurité de L’Onu constitue le lieu par excellence où "l’esprit du Droit" est perpétuellement perverti, dévoyé et foulé aux pieds à coups de vétos ! Tous les membres de cet aréopage s’y adonnent avec aisance, manifestement sans états d’âme ; souvent toute honte bue tant les soutiens qu’ils affichent insultent parfois à l’intelligence. Quand ils ne heurtent pas la "morale universelle" censée dicter les relations internationales ! Or donc on attend de ceux qui siègent au Conseil de sécurité qu’ils fassent preuve d’équité puisque leurs décisions affectent tous les peuples de la terre. Il y a quelque chose de malsain à voir un de ses membres permanents refuser obstinément de seulement condamner les actes répréhensibles- par exemple un massacre- perpétrés par un pays tiers envers un autre peuple. C’est le cas des États-Unis et d’Israël. Les successives administrations américaines, démocrate et républicaine, empêchent résolument les autres membres du Conseil de sécurité de blâmer, par véto interposé, les trop nombreuses dérives de Tel-Aviv au chapitre des droits humains en Palestine. Là, au vingt et unième siècle, Israël démontre une barbarie qu’on ne retrouve que dans les pages les plus sanglantes de l’histoire humaine. Difficile à comprendre pour un pays qui est né de la compassion et de la solidarité internationale. Et ce, on ne peut s’en cacher, au détriment du peuple palestinien qu’il opprime aujourd’hui allègrement à son tour ! Les actes fondateurs de l’Onu définissent expressément le comportement (surtout les obligations) de l’occupant vis-à-vis des occupés… même si l’occupation, et la guerre qui l’autorise, y sont prohibées. Car l’organisation des nations unies a précisément été créée pour cela, la promotion de la paix et le bannissement de la guerre dans le monde. Mais puisqu’on ne vit pas dans le meilleur des mondes… Il n’est d’ailleurs pas que les États-Unis pour se compromettre dans l’odieux. Chacune de grandes puissances couvre au profit des "siens" des crimes qu’elles dénoncent virulemment lorsqu’il s’agit des autres. On atteint au grotesque quand un homme, mais un seul passe, par le bon vouloir de ces puissances, du statut d’ange à celui de démon ; et que l’on veuille entrainer toute la communauté internationale dans ce transfert de sentiments d’amour-haine. Amis et ennemis changent fréquemment de place dans ce dangereux jeu de chaise musicale où alternent les alliances du moment et les intérêts qui établissent ces unions souvent occultes. Quand ils ne se confondent tout simplement pas. De nombreux dictateurs l’ont ainsi expérimenté à leur dépend, tombant, au faite de la gloire, dans la disgrâce signifiant la fin de l’intérêt dont les gratifia jadis l’Occident. Souvent après de "bons et loyaux services" rendus à leurs commettants d’alors… Hier le Shah d’Iran, Bokassa, Idi Min Dada et Mobutu ; mais aussi Noriega et Marcos… Plus récemment ses anges déchus, léviathans glorifiés, ont pour noms Saddam Hussein et Kadhafi (lequel a su retomber sur…ses ailes avec plus ou moins de bonheur). La liste, avec l’érection du Tribunal Pénal International(TPI), va probablement aller en s’accroissant. Que certains dont les États-Unis, Israël, l’Iran, l’Arabie saoudite et la Corée du Nord (étonnante promiscuité) n’aient pas adhéré à l’institution de cet organe de justice internationale n’y changera rien.

UN CHEQUE EN BLANC
Retour d’ascenseur, opportunisme, culpabilité ou simple "réalisme politique", la réalité d’une justice à la carte et jugée à deux vitesses a contribué à créer des monstres. Tant du côté de ceux qui d’ordinaire en bénéficient que parmi les trop nombreux révoltés d’un monde qui agit dans une partialité ouverte. Protégés et intouchables forment un "club" restreint et fermé dont le sésame demeure historiquement- mais tragiquement- le drame ! En d’autres termes : Etre victime de génocide constitue désormais et paradoxalement, à la suite d’une honteuse instrumentalisation, un enviable statut. A reconnaitre le fait la communauté internationale déploie plus d’énergie qu’à empêcher- et surtout prévenir- sa perpétration… Or donc ceux qui jusqu'alors ont été reconnus victimes de génocide-beaucoup s’en revendiquent mais peu sont "choisis"- reçoivent du même coup un blanc-seing, un chèque en blanc qui autorise que leurs actions les plus répréhensibles et leurs divers crimes aboutissent à une totale impunité. Comment dès lors s’étonner que, dans un tel contexte de laxité, les victimes d’hier n’aient été tentées de devenir les bourreaux d’aujourd’hui ? C’est ce qu’assurément représente Israël pour les Palestiniens depuis de trop nombreuses décennies déjà. Le mépris de la vie humaine dont témoigne l’état hébreux dans les territoires occupés aurait du lui attirer, avec l’opprobre internationale, les condamnations officielles et des sanctions bien plus rigoureuses que celles qu’encoure l’Iran des mollahs. Ses blocus aussi sauvages que sa colonisation, ses raids aveugles et répétés sur la population civile de Gaza : de quoi alimenter un plaidoyer de crimes contre l’humanité et autres dispositions prévues par la justice internationale. Mais rien ne vient jamais. Résultat, une monstrueuse créature repue d’insensibilité, de cruauté, d’égoïsme et d’arrogance défie impunément la communauté internationale, Israël ! Seuls les nazis, les bourreaux d’antan du peuple juif, avaient ainsi su le faire avant eux. L’Histoire bégaie tragiquement…

AUTRES LIEUX, AUTRES TEMPS, MEME REALITE
1994 : Les Tutsi sont visés par une tuerie de nature organisée. Les assassinats sont perpétrés par les Hutus fidèles au régime d’alors. Au total près d’un million d’individus sont massacrés, au nombre desquels sont répertoriés quelques Hutus dits modérés, avant que l’Onu ne reconnaisse le crime de génocide pour qualifier les faits qui se déroulent devant le regard horrifié de toute la communauté internationale. C’est qu’alors, pendant que de milliers d’hommes, de femmes, et d’enfants se faisaient ainsi massacrer, les États-Unis en particulier hésitaient à décerner le "satisfecit" de victimes de génocide à d’autres qu’aux seuls Juifs. Puisque voilà un statut qui ne comporte que des droits et n’appelle à aucune obligation ! Or donc aujourd’hui on sait- et de nombreuses preuves n’ont cessé de corroborer les faits- que les hommes du général Paul Kagamé, l’actuel président du Rwanda, avaient perpétré l’attentat qui avait couté la vie au président hutu Juvénal Habyarimana. Plusieurs dissidents des Forces Patriotiques rwandaises(FPR) qui accompagnèrent Kagamé dans sa marche victorieuse sur Kigali ont témoigné en ce sens, venant appuyer les conclusions d’une commission parlementaire française. Un célèbre juge parisien alla même jusqu’à inculper certains caciques du FPR pour cet attentat considéré comme le déclencheur des massacres. La France du pourtant intrépide Sarkozy a depuis lamentablement reculé, toute honte bue, face au courroux de Kagamé. Mais que peut bien redouter Paris de cette portion congrue qu’est le Rwanda ? C’est que la Realpolitik est passée par là, cette notion aux contours flous qui autorise le nain à menacer le géant. Sinon pourquoi Ban-Ki-Moon s’empresserait-il, fait sans précédent pour un secrétaire-général de l’Onu, d’aller au devant du général Kagamé pour l’assurer de son soutien, c’est-à-dire celui de la communauté internationale qu’il représente, pour un mea culpa qui au demeurant ne devait engager que lui. Et ceci juste avant la publication d’un rapport de ses propres experts accablant le régime tutsi du Rwanda de crime de génocide sur les Hutus réfugiés dans les camps de l’est de la RDC voisine ! Pour insolite qu’elle fut, la démarche du secrétaire-général de l’Onu manifeste, plus qu’il n’est besoin, les travers d’une politique internationale prostituée, inféodée à la Realpolitik. De s’y tenir paie, mais perd aussi. De nombreuses crédibilités se sont ainsi dramatiquement échouées sur ses berges, en tentant de surfer sur la vague de l' "ici et maintenant"! Malvoyance volontaire, passagère cessité intellectuelle ou simplement vision racourcie et plongée dans l'immédiateté, Ban-Ki-Moon risque de ne guère en sortir indemme. A l'évidence le secrétaire-général de l'Onu doit gager, afin de faire oublier sa malvenue escapade rwandaise, sur une amnésie collective de la communauté internationale. Carpe diem donc, de l’Histoire personne ne retient jamais rien. Puisque la mémoire des hommes est une faculté qui oublie. La mémoire des vainqueurs, non point celle des vaincus... Et l'Histoire en tant que mémoire de l'humanité retient en elle tenaces, pour les divulguer plustard, tous les traits que les humains cisèlent sur le cour de son parchemin. De cette histoire-ci on aura compris que la qualification du génocide n’est assurément pas affaire de justice, mais de justesse ! L’injustice, ou seulement la partialité, n’est souvent qu’affaire de perception. Or donc l’idée que les peuples s’en font- surtout ceux qui à tort ou à raison sont convaincus de ne guère en bénéficier- est parfois plus tenace que le donné factuel, l’objet producteur de sens. Que l’on croit déceler dans les attitudes d’"acteurs majeurs" internationaux des velléités de complaisance suffit à conclure à une justice dévoyée, au service des uns contre les autres…De même les spectaculaires retournements de situation dont sont férus les "puissants" incitent à la défiance quant à leur loyauté. Il en faut parfois moins pour que les esprits se radicalisent et que les armes tonnent. En matière de justice internationale le droit, pour ce qu’il s’aligne trop souvent sur la Realpolitik- en effaçant chemin faisant les gains acquis dans la peine- s’apparente à la politique de "la terre brûlée". C’est la politique du pompier-pyromane !
EMERY G. UHINDU-GINGALA