LES EDITIONS GRENIER: Un parcours alternatif du livre
En Occident, les dévantures des librairies, et autres échoppes, croulent sous le poids de nouvelles publications. Image des plus ordinaire, figée sur le contemporain, et qui ne dit cependant pas son tracé historique. Au point que l’on peinerait aujourd’hui à croire que le livre a déjà été le domaine exclusif d’une élite intellectuelle, l’apanage d’une intelligentsia qui cependant n’était pas seule savoir lire et écrire ! Ce petit monde avait seulement pour lui l’intérêt et la possibilité de lire. Le "commun" a tôt fait de monter à l’abordage du savoir contenu dans ces feuilles jadis volantes. Au vrai c’est le livre qui est venu au peuple par le biais de la production de masse. C’est-à-dire l’édition. Et l’argent. On publie donc pour vendre. Mais pas n’importe qui. Ce domaine est demeuré élitiste pour des raisons qui n’ont à voir qu’avec la rentabilité. C’est dire que dans le milieu de l’édition il existe à ce jour une causalité- sinon qu’une collusion- avérée entre la notoriété et l’accès à la publication !
Et là où l’édition souffre de ne pouvoir se développer faute d’argent, les auteurs sont confinés-voire condamnés- à l’anonymat. "Là", c’est l’Afrique…
Une notable exception cependant : grâce aux éditions "Présence Africaine" d'Alioune Diop(1), quelque "vieux de la vieille" sont parvenus sur le devant de la scène littéraire parisienne ; pour ainsi, paradoxalement, se faire connaitre chez eux. Or donc d'aucuns- tels le Martiniquais Aimé-Césaire et le Sénégalais Cheik-Anta-Diop- ostracisés par le milieu de l'édition parisienne, n'ont du d'être connus que grâce aux éditions Présece Africaine.
Ecrivain et poète lui-même, Moïse Mougnan a fait ses premières armes dans la proximité de certains de ces "monstres sacrés": L'historien burkibabè Joseph Ki-Zerbo, le "sage" malien Ahmadou Hampaté Bâ, philosophe devant l'Eternel, sans oublier le maitre à penser, Cheick Anta Diop. Tous lui auront insufflé, chacun à son tour, la conscience africaine qui lui sert aujourd'hui de paradigme ouvert sur l'altérité!
Aujourd'hui comme hier l'implacable constat demeure inchangé. Les auteurs africains (quelque soit leur domaine de prédilection) demeurent absents des étagères des librairies et des bibliothèques. Le fait a une conséquence dramatique sur "la chaine du savoir" en Afrique. De la petite école jusque parfois à l’université les jeunes ne s’instruisent qu’à partir d’un savoir édulcoré par les photocopies qui leur servent de manuels. Ils apprennent ce que disent et écrivent les "autres". Et perdent à ne guère connaitre le point de vue des Africains sur les questions cruciales des leçons dont ils sont pourtant abreuvées. Sans débouchés, les auteurs, les universitaires, les chercheurs africains ne se sentent guère encouragés à produire ce qui est destiné à demeurer lettre morte. Il n’est pire cercle vicieux. L’impasse est telle que la situation confine à la fatalité. La clef, le sésame devrait-on dire, c’est l’édition ! Autrement l’Afrique est condamnée à subir l’aliénation sans les moyens de réagir.
Démocratiser l’édition
« Il s’agit d’abord de mettre fin à la condescendance que le milieu de l’édition manifeste à l’endroit des auteurs. Qu’ils fussent Africains ou seulement inconnus. » Parfois seulement méconnus ! C’est l’éditeur Moïse Mougnan Lekiangar qui le confesse aussi péremptoirement. Profession de foi fondatrice des "Éditions Grenier"(2), ce volontarisme devient vite gageure lorsque l’intrépide éditeur prétend à « la fusion entre auteurs, lecteurs et édition ». Une trilogie que la confluence des intérêts fond en unicité.
Or donc que Moïse Mougnan soit un afro-canadien originaire du Tchad n’est sûrement pas étranger à ce qui s’apparente résolument au parcours du combattant. Tel hier son père, le militant fédéraliste André Mougnan, qui périt dans les géoles du dicatateur François Tombalbaye. Parti de rien- mais lesté de tout ce bagage- et après avoir publié treize ouvrages, l’homme n’est encore jamais rentré dans ses frais. Et n’a même jamais sollicité la moindre subvention auprès du Gouvernement. Dans un pays- le Canada- où toutes les riches organisations privées à vocation publique (radios, télévisions, journaux, écoles privées huppées…) émargent au budget de l’État, la démarche du fondateur des Éditions Grenier s’apparente à de l’abnégation. «Maintenant peut-être. Avant il nous fallait faire nos preuves ». La preuve est faite au-delà de ce qu’exige le Conseil des arts [avoir déjà publié trois livres !] pour subventionner les nouveaux éditeurs. Il y aussi que la subvention publique n'est pas destinée à publier les auteurs d'ailleurs. Afin de préserver une certaine liberté éditoriale Grenier lui a toujours préférée l'apport des mécènes qui partage sa vision de l'édition. Et dans son procès vers la diversité le poète-éditeur(3) n'est pas peur fier du dernier auteur qu'il vient de mettre sous presse: un éminent professeur français d'origine marocaine, Léon Ouaknine(4). Ce dernier a conçu et piloté entre 2000 et 2005, avec le cancérologue Claude Jasmin, le Diplôme universitaire de "Qualité en santé" à la faculté de médecine de Kremlin-Bicêtre, Univesrsité Paris-Sud, France.
Aujourd'hui parvenue à maturité (Grenier a publié de façon indifférenciée treize auteurs d'ici et d'ailleurs qui autrement ne l’auraient jamais été) Moïse Mougnan s’attaque maintenant résolument au projet qui lui tient à cœur depuis le début : recevoir [c’est-à-dire aller chercher] les auteurs africains (professeurs, écrivains…) afin d’éditer leurs manuscrits. Les faire connaitre chez eux d’abord ; pour ensuite mettre leurs ouvrages en concurrence avec les auteurs d’ailleurs. Les étudiants pourront alors bénéficier d’une source d’informations inestimable parce qu’africaine.
Et comme si cela déjà ne suffisait pas l’homme embrasse "sa mission" à bras le corps. Embrasse-t-il trop ? « Je ne veux qu’étreindre l’Afrique, l’oubliée », soutient ce don quichotte de l’édition. Du coup "Solidalivre"(néologisme inventé par Moïse Mougnan lui-même; et qui évoque la solidarité par le livre ) prend déjà forme : Cavalière initiative dont l’objectif premier est de solliciter des livres pour les bibliothèques et universités africaines; ensuite d’éditer les manuels scolaires destinés à l’Afrique aux prix les plus bas ! En plus de demander aux auteurs publiés chez Grenier de faire don de quelques uns de leurs livres à l’Afrique.
Une sorte de retour d’ascenseur envers celui qui les publie non pas à compte d’auteur, mais à compte d’éditeur !
Si Moïse Mougnan Lekiangar parvient à rencontrer tous ses buts, les Éditions Grenier deviendront alors la première maison d’édition réellement au service des écoles et universités défavorisées !
On peut gager qu’il y parviendra; ce passionné des cas oubliés et, surtout, d'Haiti!
Il y parviendra si l'homme continue de croire que certaines causes, plus que d'autres, convoquent un sacrifice qui confine au don de soi!
EMERY G. UHINDU-GINGALA
(1)Présence Africaine (http://www.presenceafricaine.com/) célèbre le centenaire d’Alioune Diop dans différentes villes du Sénégal.
Du 10 janvier 2010 au 14 novembre 2010
(2) Pour accéder au site des Éditions Grenier cliquez sur : http://www.leseditionsgrenier.ca/
(3)Moïse Mougnan N'djekornondé Lekiangar est l'auteur de deux recueils de poésie "engagée" aux Editions d'Orphée, Montréal.
(4)Léon Ouaknine vient de publier un essai de 285 pages, "Il n'a jamais eu d'abonné au numéro que vous avez appelé", aux Editions Grenier, 29 sept. 2009
La biographie de l'auteur est disponible sur le site des Editions Grenier.
1 Comments:
Thank you, for getting something new and saluting the originality of this story, hopefully useful, so that life is more useful and useful for others
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