mercredi, décembre 08, 2010

LES FOSSOYEURS DE LA COTE D'IVOIRE

Souvent des pays éprouvent le besoin d’inviter des tiers à les accompagner dans le processus électoral. Pour observer, valider s’il le faut, et parfois même départager quand telle disposition est expressément convenue entre les parties en lice. Or donc de mémoire d’homme aucun peuple, sauf à y être contraint, n’a accepté de céder sa souveraineté au point d’autoriser ladite tierce partie- au demeurant étrangère- de se substituer aux institutions consacrées par sa Loi fondamentale. C’est la Constitution, et elle seule, qui produit le droit. Et non pas une supra-autorité internationale, quelque crédit qu’on lui reconnût. En matière d’élection le dernier mot revient, en cas de litiges, à la Cour suprême ou, pour le cas de la Côte d’ivoire à la Cour constitutionnelle. L’arrêt de cet organe est péremptoire et sans appel advenant même qu’il se fut trompé. Dura lex sed lex, la Loi est dure mais c’est la loi !
C’est toutes ces subtilités, pourtant à la portée de tout diplomate en herbe, que le représentant de l’Onu en Côte d’Ivoire semble n’avoir jamais comprises. Des trois choses l’une : le sieur Youn-jin Choi a été totalement dépassé par des événements à l’aboutissement desquels il n’était pas préparé ; ou bien était-il en service commandé : valider vaille que vaille et coûte que coûte la victoire d’Alassane Dramane Ouattara somme toute le choix de l’Occident ; ou alors s’est-il senti, en toute bonne foi "investit d’une mission" humanitaro-messianique, à savoir sauver le pauvre peuple ivoirien en mettant de facto "sous tutelle onusienne" les institutions du pays.
Au vrai nul, ne serait-ce que par compassion, ne souhaite au commettant de Ban-Ki-Moon de s’être laissé emporter dans une telle dérive néocolonialiste. Mais son empressement, et les médias internationaux avec lui, à certifier les résultats de la Commission électorale indépendante (CEI), que venait cependant d’annuler la Cour constitutionnelle, laisse perplexe. C’est un Youn-jin Choi manifestement ulcéré qu’on a vu revendiquer avec aplomb son inamovible statut acquis de droit divin : Certificateur je fus, certificateur je demeure !
Un surprenant zèle qui confine à la profession de foi ; sinon qu’à la naïveté…
Qu’on se rappelle seulement : En 2000 c’est la Cour suprême des États-Unis qui trancha en faveur du candidat George W. Bush face à Al Gore dans une présidentielle litigieuse. Aucune instance étrangère ne s’opposa publiquement à ceci que tous, tout bas, désapprouvèrent. De ce même pays on sait aussi qu’il a considérablement affaibli l’institution du Tribunal Pénal International (TPI) en refusant d’y souscrire ; au motif qu’aucune juridiction étrangère n’est qualifiée pour juger des citoyens américains. Ce qui ne les empêche pas d’être "déçus" que les pays africains n’exécutent pas les arrêts de ladite cour ; précisément en ce qui concerne le mandat d’arrêt visant le Soudanais Omar El-Béchir par une juridiction dont ils se défient eux-mêmes.
Mais les États-Unis ne sont pas à un paradoxe près…
Or donc que dire de l’Union européenne et de leurs médias qui se sont précipitamment engouffrés dans la brèche ouverte par Youn-jin Choi comme si l’une et les autres n’attendaient que cela : le "feu vert" de l’Onu en Côte d’Ivoire(ONUCI). Une diligente prise de position qui ne peut que prêter à suspicion. Et qui a jeté le peuple ivoirien dans la confusion.
Ce genre d’ingérence, qui dit son nom, a été à l’origine de la radicalisation de bien des pays.
A titre de comparaison, au même moment en Guinée-Conakry voisine, les protagonistes de l’élection présidentielle ont patiemment attendu l’arbitrage de la Cour Suprême- qui entendait les doléances et récriminations de l’un et l’autre candidat- et se sont ralliés à son verdict !
Si cette cour a affirmé les résultats de la CEI guinéenne, c’est qu’elle avait également le pouvoir de les infirmer. Une logique qui tombe pourtant sous les sens; mais pas pour tous, à l’évidence.

Faites ce que je vous dis de faire
Mais ne faites surtout pas ce que je fais ». Tel semble être le leitmotiv de la communauté internationale à l’endroit d’Abidjan. En France, pays qui se pose aujourd’hui en porte-voix (ou porte-flingue) à la dissidence de Laurent Gbagbo, aussi bien les juges de la Cour suprême que le président de la Cour constitutionnelle sont nommés par le chef de l’État. Autre fait : hors de France qui s’étonne de ce que Nicolas Sarkozy se soit arrogé le droit de nommer le président de France Télévisions ?
Au Canada le Premier ministre nomme aussi bien les juges, les sénateurs et même le Gouverneur-général. Cette personnalité, qui représente la monarchie britannique au Canada, y est d’office le chef de l’État et des armées…
De nombreux autres pays tous réputés démocratiques sacrifient au même procès quant à la nomination des juges ainsi que des hauts dirigeants des instances publiques sans que ceci ne constitue sujet à débats sur la scène internationale. Car c’est une pratique courante et somme toute banale. Seuls ceux qui aujourd’hui croient gagner à la diaboliser affichent leur vertu offensée dans une hypocrite indignation digne de grands tragédiens. Autrement d’où vient-il que cette prérogative soit réservée aux uns mais pas aux autres ? L’on peut légitimement se demander si la communauté internationale aurait tant rué dans les brancards s’il s’était agi de la Guinée-Bissau, du Vietnam, du Costa-Rica ou du Rwanda…
Mais la Côte d’Ivoire, pour son malheur, est "un pays qui compte" en Afrique et dans le monde. L’occasion ne se présentera peut-être pas de si tôt d’installer à sa tête quelqu’un- Ouattara fut un haut-cadre du Fonds monétaire international(FMI)- qui a l’habitude d’obtempérer aux injonctions de l’Occident. A contrario Gbagbo est vu par tous comme un "empêcheur d’assujettir en rond".
Mais déjà la suspicion point dans les rangs même des partisans de Ouattara. Dans un reste de sursaut patriotique d’aucuns parmi eux s’interrogent sur l’indépendance dont jouirait un président qui devrait tout à l’Occident. Des relents de soumission, de compromission et de collusion entament inexorablement chaque jour le socle sur lequel tente de s’élever la stature de leur candidat. En jouant l’opportune carte de la communauté internationale contre les institutions de son propre pays Alassane Dramane Ouattara réveille les vieux démons de "l’ivoirité" que dressa jadis devant lui son actuel allié Henry Konan Bédié. C’est ce dernier qui, en faisant douter de sa nationalité ivoirienne, le disqualifia de toute participation à une élection présidentielle. Jusqu’à ce que Laurent Gbagbo refermât cette boite de pandore permettant ainsi à Ouattara d’être enfin candidat à la controversée présidentielle qui semble tenir le monde entier en haleine.

Les fossoyeurs de la Côte d’Ivoire
Aujourd’hui c’est devenu un secret de polichinelle qu’Alassane Ouattara ne fut pas étranger à la guerre civile qui consacra une décennie durant la partition de la Côte d’Ivoire en deux entités dont les traces demeurent encore vivaces. Dans les esprits et sur la réalité géographique. Puisqu’il ne s’en cache réellement plus- il n’a de cesse de brandir le spectre de la rébellion s’il n’obtient pas gain de cause- on peut craindre qu’il n’hésite pas à déclencher à nouveau la lutte armée. Il tient à le faire savoir à demi-mots, il évoque sans le dire le tragique précédent qui plongea le pays dans la désolation. Il tient à récolter les bénéfices qui sont rattachés à la guerre.
Il présente aux Ivoiriens le choix entre lui et le chaos. Mais cette fois-ci Ouattara dispose de l’aval, et peut-être déjà du soutien logistique de la communauté internationale, pour ce faire.
On peut aisément imaginer les fossoyeurs de la Côte d’Ivoire savourant enfin leur vengeance sur Gbagbo ; triomphant sans états d’âme et surtout sans péril aux antipodes des souffrances que seuls les Ivoiriens appréhendent. Ils pensent avoir démontré avec suffisance sinon qu’avec mépris que les institutions "pseudo-démocratiques" des pays africains doivent demeurer subordonnées à la volonté de la communauté internationale. Une façon de remettre au gout du jour l’anecdotique incapacité des populations obscurantistes africaines de se prendre en charge. Alors même qu’une nouvelle génération de dirigeants du Continent, dont Laurent Gbagbo, s'applique à faire oublier ce caricatural déterminisme. Avec le risque que ceux que cela dérange leur tombent dessus à bras raccourcis. Mais c’est le prix à payer, autrement il faut encore courber l’échine…
Le plus troublant dans cette saga c’est qu’Alassane Ouattara acquiesce à l’idée que les institutions de son pays soient considérées comme désuètes puisqu’elles ne lui offrent pas le pouvoir promis par des instances plus…éclairées. L’Histoire, hélas, lui sera comptable de cette posture- suspecte désinvolture vis-à-vis d’un peuple dont on se réclame- qui rappelle par trop l’allégeance de certains leaders africains au colon qui leur "accorda" l’indépendance.
La Côte d’Ivoire d’aujourd’hui ne mérite pas telle injure. L’Afrique refuse cette imposture.
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ