mercredi, mars 16, 2011

LIBYE : SUS AU NOIR

Au fil du conflit qui s’éternise en Libye, les travailleurs immigrés subsahariens risquent chaque jour leur vie. Stigmatisés, ils sont devenus la cible de prédilection des insurgés. Boucs émissaires de choix, ils ont péché par la couleur de leur peau noire.
Au motif que les "mercenaires" recrutés par Kaddafi pour réprimer les manifestants seraient tous de race noire. Vrais ou faux mercenaires, faux ou vrais travailleurs, l’amalgame ici représente un exutoire pour ceux qui sont affligés par la mort des leurs.
Et dont les espérances de liberté, vexées et frustrées, s’amenuisent face à une implacable répression. Car faute d’avoir un nom les "coupables", identifiables et accessibles à la vendetta, ont désormais une couleur. Ils sont des Noirs !
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ

La partie immergée des conflits qui durent c’est bien sûr un grand nombre de morts. Pourtant le temps finit toujours par charrier, parfois même des années plus tard, son lot d’horreurs et d’histoires poisseuses propres à révulser les caractères les plus trempés. Il suffit qu’enfin des langues se délient, que d’aucuns recouvrent la vue, pour extirper des coins les plus sombres de l’âme humaine l’indicible, l’innommable ! Le fait se répète presqu’invariablement. On découvre que les victimes, qui d’ordinaire emportent la sympathie (victimes de génocide surtout ; ou d’autres atrocités), ont pu rivaliser de monstruosité avec les "méchants". Or donc c’est avec parfois une déconcertante aisance qu’ils surent se transformer en bourreaux, après, sinon que pendant le temps de leur malheur.

Israël demeure à ce jour, manifestement pour longtemps encore, le plus tristement représentatif de cette funeste mutation. L’État hébreux est sans conteste le champion de ce sinistre record qui se décline en occupation, oppression et répression en guise de "hauts-faits". Sur la Palestine il n’y a plus rien à dire, il y a eu la guerre au Liban ; et jusqu’au récent et meurtrier abordage par l’armée israélienne (Tsahal) sur les convois humanitaires chargés de briser le blocus de Gaza. Des exactions en grand nombre et répétées. Mais qui n’ont jamais réellement convoquées la justice internationale. Sinon que pour distraire la galerie…

L’Armée de libération du Kosovo (UCK) se livra sur les Serbes à d’abjectes atrocités pendant que les troupes de l’OTAN aidaient le Kosovars à s’émanciper du joug des méchants Serbes. Difficile de croire que les pays de l’Atlantique Nord ignoraient alors la perpétration de ce qui se révèle aujourd’hui comme autant des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Mais l’Occident tente encore vainement d’étouffer, en détournant pudiquement son regard, une affaire déjà largement ébruitée. On comprend bien que d’admettre les faits constituerait un aveu de complicité. Même passive.
Le Rwandais Paul Kagamé est directement désigné par plusieurs rapports internationaux comme étant l’instigateur du génocide des Tutsi. L’inamovible président du Rwanda serait, selon des sources des plus fiables, l’auteur de l’attentat qui coutât la vie au président hutu Juvénal Habyarimana. Or donc cet assassinat fut l’acte déclencheur des massacres ethniquement ciblés sur les Tutsi ! À partir de l’exil et après avoir fait défection, certains de ses anciens compagnons de lutte témoignent fortement dans ce sens.
Par la suite, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) voisine, les armées du général Kagamé, et leurs affidés locaux, sèmeront mort et désolation pendant que Kigali faisait main basse sur les richesses minières de la région. Un décompte conservateur estime le nombre des morts à quatre millions dans cette seule partie du pays !
Cependant une opinion publique internationale dirigée, orientée par des lobbys pro-tutsi rwandais, s’obstine à ne faire valoir que le génocide, au demeurant réel, perpétré contre cette ethnie. Comme un artéfact sans origine. Ou une fin sans lendemains !

Massacres sélectifs
Dans un altruisme béat le monde entier est tenu en haleine par l’issue de la "révolution libyenne". Les insurgés bénéficient d’un tel capital de sympathie que nul n’interroge l’orthodoxie de toutes leurs actions. Tant leur cause, s’émanciper du joug oppressant d’un dictateur, parait juste. Or donc dans le même temps une implacable chasse à l’homme Noir est ouverte depuis le début des hostilités ; et culmine désormais en de massacres dont la virulence s’accroit à mesure que l’armée demeurée fidèle à Kaddafi sévit sur la population. Car il faut bien le dire : En Libye, la mutation des manifestations pacifiques (telles les révolutions qui ont eu raison des dictateurs tunisien et égyptien) vers l’insurrection armée a durci le rapport des forces ; en imposant entre les belligérants une violence exacerbée par le sentiment partagé par tous que c’est, ici et maintenant, la victoire ou la mort !
Depuis donc les opposants au régime du guide libyen s’acharnent sur les Noirs, mercenaires devant Allah, sans qu’aucune distinction ne soit faite entre travailleurs immigrés et "vrais mercenaires", nouveaux seconds couteaux de Kaddafi. Pourtant parmi les pilotes qui bombardent les insurgés on compte de nombreux ressortissants des pays "frères" arabes : Syriens, Algériens…Les immigrés originaires de ce pays n’encourent pas pour autant l’ire revancharde des Libyens anti-kaddafistes. Ainsi donc l’amalgame qui est fait au sujet des Noirs (travailleurs et mercenaires) semble l’être à dessein. Les Libyens n’en sont hélas pas à leur premier coup d’essai au chapitre de la xénophobie et du racisme contre les Noirs. Il n’y a qu’à se rappeler les exactions dont les subsahariens firent jadis les frais en 2006 et qui se continuèrent sous l’œil bienveillant du régime qui les emploie aujourd’hui. Car il ne faut point nier que des Noirs sont effectivement au nombre des mercenaires recrutés par le régime du "Guide de la Jamahiriya" pour combattre l’insurrection. Mais pas seulement eux. Les Noirs sont pourtant les seuls à être reconnus pour tels. À comparer avec le décompte des travailleurs immigrés, ces renégats constituent somme toute une portion congrue.
Comme pour Israël, le Kosovo ou le Rwanda, tout ceci se déroule devant les yeux de la communauté internationale ; laquelle y oppose un silence tonitruant et non moins complice.
Pis, les pays subsahariens dont les ressortissants sont ainsi pris à partie semblent n’en être pas concernés le moins du monde. À ce jour aucun de leurs dirigeants n’a élevé la voix pour ne serait-ce que dénoncer ces assassinats racialement ciblés.
Alors donc, forts d’une indifférence et d’une complaisance tous azimut (la connivence se nourrit de telles ambigüités), les insurgés libyens peuvent laisser libre cours à leur barbarie. Assurés de l’approbation de tous ; d’autant que nul ne désapprouve. Qui ne dit mot consent
Les survivants du carnage rapportent des scènes d’horreur où des Noirs seraient proprement égorgés ou éventrés ! Quand on sait que des milliers d’autres sont pris au piège dans les villes contrôlées par l’opposition il est à craindre que tout ceci ne débouchât sur une véritable hécatombe. Il sera toujours temps pour le déni, la justification, l’explication…
Mais a posteriori !
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ
Cet article est disponible sur Afrique Actu sous le lien suivant: http://www.afriqueactu.net/25806/afrique/libye-sus-au-noir