LE VIRAGE CANADIEN
POUR QUELLE GUERRE?
Emery G. Uhindu-Gingala
Après une décennie passée dans l’opposition, le parti conservateur canadien a de nouveau bénéficié de la faveur populaire. Quoique pour un gouvernement minoritaire. A l’instar du précédent gouvernement libéral défait.
A peine installé au pouvoir, le jeune premier ministre fraîchement élu (46 ans), Steven Harper, étonne. Ou plutôt il déconcerte.
Applaudit pour certaines décisions de politique interne promptement appliquées, le premier ministre canadien a, sur le plan international, une vision qui laisse perplexe et inquiète. Elle bouscule et brouille la culture politique de ses concitoyens peu habitués aux grands écarts idéologiques. Parce qu’à Ottawa, libéraux et conservateurs (les deux plus grandes formations politiques fédérales) ne gouvernent, à quelques différences près, qu’au centre. Et, c’est dès cette… accointance idéologique que s’est érigée la politique internationale du Canada. Notamment sur le plan militaire : Le Canada est reconnu pour sa vocation-et son expertise- dans les missions de paix partout dans le monde. Sous l’égide des nations unies : Ottawa, et ce depuis toujours, prône et applique l’engagement militaire multilatéral.
Le "casque bleu" n’a jamais été aussi longtemps -et bien- porté que par le soldat Canadien.
Le nouveau gouvernement conservateur semble en avoir décidé autrement, entraînant résolument les Forces canadiennes dans la lutte au terrorisme cher à Georges W. Bush. En Afghanistan. Sous commandement américain!
Le déploiement canadien libère opportunément le territoire afghan du contingent américain; afin que celui-ci se précipite où sa présence est fortement requise, en Irak.
La décision d’envoyer des troupes en guerre est une prérogative du gouvernement.
Le premier ministre en a seul la responsabilité. Et le droit. C’est ce qu’a justement fait valoir Steven Harper. Ne se privant pas de préciser qu’il ne faisait là qu’appliquer un accord signé entre son prédécesseur libéral (Paul Martin) et les États-unis. Le Canada ne pouvait donc pas, sans se discréditer, se défiler face à ses engagements internationaux. Les libéraux, qui ne nient pas le fait, ont beau jeu de prétendre a posteriori qu’ils avaient l’intention, avant que d’autoriser- ou non- l’opération, d’en solliciter le mandat au parlement.
Jusque il y a peu, le Canada opérait en Afghanistan, intégré à la Force d’assistance à la sécurité (FIAS) de l’OTAN. Les Forces canadiennes passent maintenant sous commandement américain dans le cadre de l’opération Enduring Freedom.
En un accord tout ce qu’il y a de plus bilatéral.
M. Harper, homme de parole s’il en est, s’honore d’une loyauté qu’il est bien le seul à sacraliser. Le nouveau premier ministre espagnol n’a pas hésité, une fois au pouvoir, à soustraire ses soldats de la "coalition" sévissant en Irak. Sans en encourir le moindre discrédit mondial. Le nouveau gouvernement polonais s’apprête à faire de même.
Même si Espagnols et Polonais ne sont pas voisins des États-unis, il y a cependant des limites à vouloir plaire : C’est Ottawa qui a annoncé en premier la cessation de son aide aux Palestiniens au lendemain de l’investiture du gouvernement formé par le Hamas! Devançant en cela les Américains eux-mêmes! Du jamais vu.
Mais que voit-on encore : le jeune ministre canadien des affaires étrangère, Peter
Mc Kay, proposer ingénument, à Washington, l’option militaire contre l’Iran; effarouchant presque, devant un tel volontarisme, Gondoleeza Rice, laquelle ne parlait encore que de fermeté face à Téhéran. «Il n’y a pas d’autre option», tint à préciser l’apprenti-sorcier, manifestement en pamoison devant son homologue, le secrétaire d’état américain, "mon idole" avait-il eut l’honnêteté d’avertir d’entrée de jeu. Nul doute qu’il va bientôt s’en trouver un autre, sinon le même, pour préconiser avec la même candeur l’entrée du Canada dans "la guerre des étoiles", par bouclier anti-missiles interposé. Ne désespérons pas.
"Made in America"
Le Canada a-t-il les moyens de sa nouvelle politique "va-t-en guerre"; ou bien compte-t-il, en s’engageant ainsi tout azimut, sur la protection du grand-frère Américain?
La position du Canada face aux États-unis avait été l’un des enjeux de la dernière campagne électorale fédérale. Les candidats rivalisaient sur qui se distancerait le plus de Washington. Le chef libéral avait, à ce jeu, poussé l’irrévérence jusqu’à l’indélicatesse. Au point de sérieusement compromettre la séculaire et nécessaire bonne entente entre ces deux alliés de toujours. Les Canadiens, d’ailleurs, n’en ont jamais été dupes.
Personne ne reprochera donc au gouvernement Harper de vouloir rétablir avec le puissant voisin américain des relations passablement malmenées par les gesticulations désespérées de Paul Martin. Et Harper, c’est un homme d’honneur, d’évoquer la loyauté en prologue de ce qui allait suivre.
Contrairement à l’amour, la loyauté au niveau des états n’est jamais aveugle. Elle se déduit d’une stratégie à long terme; et c’est à partir des intérêts locaux qu’elle doit se conjuguer à l’intérêt de la communauté internationale. Si ce dernier ne contrarie pas les premiers. Les États-Unis, justement, le disent. Et le font. Realpolitik oblige.
La souveraineté nationale, incarnée par le nouveau gouvernement conservateur, revêt des allures de coquille vide tant elle semble bancale. Pis, sa politique internationale ne paraît suivre aucune ligne directrice, et ne répondre à aucune préoccupation réelle du Canada. La "lutte au terrorisme" est une vaste et vague rubrique. Le terrorisme international, pour concret qu’il soit, ne se vit pas de la même manière pour tous. On ne peut donc pas y répondre de façon indifférenciée. C’est cela qu’expriment les retraits des Espagnols et Polonais
Le modèle américain (radicalisé par l’administration Bush) consiste à combattre les effets en faisant fi des causes. Le Canada a toujours traditionnellement privilégié le processus inverse : agir sur les causes, la pauvreté, les injustices, le désespoir…toutes choses constituant un terreau fertile propice à l’émergence des vocations terroristes. L’option militaire, lorsque l’Onu la requiert, doit s’intégrer à une vision plus globale; le problème devant être approché sur tous les fronts. Non pas que par des frappes, pour intelligentes qu’on les prétendit. En se collant si étroitement à la vision américaine le gouvernement canadien amorce un virage vertigineux, auquel les Canadiens, encore tout à leur étourdissement, ne s’attendaient guère.
L’émotion des uns, la raison des autres
Aux lendemains des attentats terroristes perpétrés à New York, le 9-11, toute l’Amérique-et c’est peu dire- était en émoi. L’exutoire irakien joua comme un ersatz : il sembla alors le meilleur moyen de canaliser le trop plein d’émotion qui étreignait le peuple meurtri dans sa chair. Les stratèges du Pentagone, entre autres raisons occultes, désignèrent par défaut un coupable accessible, Saddam Hussein. Puisque Oussama ben Laden- qui pourtant revendiqua souvent la forfaiture- ne se résignait guère à se laisser capturer. Georges W. Bush qui n’avait rien d’autre à proposer aux Américains gagea, avec succès, sa présidence sur sa chasse aux sorcières. Fort de l’appui inconditionnel du peuple et de toutes les institutions de l’état, le président américain, dont les événements avaient démesurément grandi la stature, put entamer sa croisade irakienne, marchant au passage sur l’ONU, mobilisant dans sa folle ambition la plus grande puissance technologique, financière, économique et militaire du monde. Lors même il se retrouve aujourd’hui empêtré dans son aventureux projet, désavoué par le peuple dont il abusa la crédulité, l’homme avait, lui, les moyens de sa politique. Pour l’application de laquelle il continue toujours, bizarrement, de disposer des énormes ressources de son pays. Des centaines de milliard des dollars plus tard, équivalant à plusieurs fois le budget annuel du Canada, les États-unis ne sont toujours pas au bord de la faillite. Loin s’en faut.
Contrairement à Georges W. Bush, Steven Harper un homme crédité d’une grande intelligence, que même ses contempteurs les plus virulents reconnaissent. Brillant jusqu’à l’astucieux dans la maîtrise de ses dossiers de politique interne, pour ce qu’on en sait jusqu’ici, le premier ministre canadien a toujours démontré, même dans l’opposition, une parfaite connaissance de l’environnement international et des grands enjeux mondiaux.
Et le fait qu’il soit ainsi abondamment encensé dès le début de son mandat fait craindre que le très honorable Steven Harper en ait développé une hasardeuse outrecuidance.
Au point de se croire, tel le pape pour les catholiques, infaillible. Peu de choses expliquent en effet qu’il ignorât que ce à quoi il convie aujourd’hui les Canadiens dépasse le simple respect d’un engagement international- bilatéral. Qu’il s’agit en réalité d’un radical changement de paradigme. Une rupture de contextes. Rien de moins. Changement dans les mentalités, revirement -révolution- de la vocation militaire. Un tel chambardement conceptuel doit péremptoirement être précédé des dispositions pragmatiques. Lesquelles ne doivent pas suivre les décisions politiques. A ce jour les Forces canadiennes ne sont guère entraînées pour ce genre d’équipée. Elles n’en possèdent pas non plus, cela va de soi, le matériel adéquat.
Qu’à cela ne tienne : Les Canadiens ne portent pas en eux la charge émotive qui a suscité l’engouement des Américains pour la présomptueuse option de leur président au lendemain du 11 septembre 2001.
Steven Harper aurait tort de croire que la forte résistance des Canadiens pour ce brutal changement n’est qu’une capricieuse peccadille dont l’ampleur s’érodera avec le temps.
Car, c’est bien sur cela qu’il compte. Le temps. Il espère avoir la population canadienne à l’usure. Puisque nul au pays ne le prend au sérieux lorsqu’il a le front de prétendre, pour justifier son action on ne peut plus précipitée, que le Canada est une des cibles déclarées d’Al- Quaïda! Le Canada se serait donc à ce point gardé que les terroristes n’aient jamais pu aborder ses fortifications et ses remparts! Alors même que Washington reproche à Ottawa le fait que ses frontières constituent une vraie passoire pour les terroristes désireux de se rendre aux États-unis…
Ce que le Canada a réellement à redouter, ce sont les conséquences d’une telle propulsion dans l’œil du cyclone. Les terroristes, et c’est hélas plus qu’un cas de figure, pourraient retourner leur glaive vengeur contre la sécurisante quiétude des Canadiens. Le pays est-il vraiment prêt à en accuser le coup? D’exceptionnelles mesures de sécurité ont-elles déjà a priori été adoptées pour parer à telle éventualité?
Il faut l’espérer. Autrement M. Harper risquerait de perdre plus qu’une simple réélection. Il joue- dans ce qui est loin de n’être qu’un joute politique- toute sa carrière.
Georges W. Bush, lui, n’a désormais plus rien à perdre.
Les Canadiens ont toujours tenu à affirmer leur souveraineté vis-à-vis des États-unis.
Ce nouveau mimétisme politique laisse un goût amer. Il a des relents d’inféodalité, il peut traduire un certain degré d’assujettissement. A tort ou à raison.
EMERY G. UHINDU-GINGALA
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