Printemps arabe
DEMOCRATIE SOUS SURVEILLANCE
Egyptiens et Tunisiens conspuent aujourd’hui une démocratie qu’ils se sont
acquise dans le sang. Ils continuent de réécrire, par la rue encore, l’histoire
là où ils l’avaient laissée deux ans plutôt. Ennahda et les Frères musulmans
ont eu le tort de croire que le chapitre était clos parce qu’une page avait été
tournée.
EMERY
UHINDU-GINGALA GINGANJ
Lorsqu’un régime est déchu par d’autres dispositions que
celles prévues par la Loi, on est en présence d’un coup d’état. C’est ce qui
vient de se passer en Egypte. Et le fait que les militaires, les auteurs de ce
coup de force, se cachent derrière "la volonté populaire" n’y change rien.
L’Egypte vient de tourner une autre page de son histoire ; et rien
n’indique qu’un retour au statu quo ante soit possible. D’ailleurs aucun pays occidental n’a condamné le coup d’état,
se bornant tout au plus à noter le fait
accompli. Au vrai Washington et ses alliés étaient inquiets de voir proliférer
des régimes islamiques à quelques encablures d’Israël. Sans aller jusqu’à
récuser un régime démocratiquement élu ainsi qu’ils le firent jadis pour le
Hamas en Palestine, les occidentaux se félicitent secrètement de la chute du
président Morsi et des Frères musulmans. Aussi ils espèrent que la même chose
se produira en Tunisie. Mais dans ce dernier pays les choses risquent d’être un
plus compliquées qu'en Egypte. Déjà on voit bien que malgré la gravité des
faits qui sont, à tort ou à raison, imputés au gouvernement islamiste, le
mouvement de protestation n’égale en rien celui des Egyptiens à l’encontre de
Mohamed Morsi. Si les deux opposants assassinés en Tunisie (Chokri Belaïd et
Mohamed Brahmi) avaient été Egyptiens le pouvoir au Caire serait tombé bien
plus vite qu’il ne l’a été. Et l’armée- les militaires égyptiens n’attendaient que cela après que
Morsi les eut humiliés en chassant leur chef le maréchal Tantawy du pouvoir- ne
se seraient guère embarrassés de fallacieuses justifications pour perpétrer
leur coup de force.
Autre chose qui revêt son importance : en Tunisie
c’est le gouvernement islamiste en son ensemble qui est mis en cause, cependant
qu’en Egypte la colère des manifestants avait un visage et un nom :
Mohamed Morsi. Il est plus facile de porter la faute sur un seul individu que
sur tout un système…
A Tunis le pouvoir n’a d’autre choix, pour survivre, que
d’accommoder les desideratas des manifestants, en évitant l’obtuse intransigeance
de Morsi, laquelle lui aura coutée la présidence. Et la liberté.
Or donc aujourd’hui ce n’est même plus la méfiance des
occidentaux qui est en cause dans la crise des régimes islamiques. Ce sont
leurs propres concitoyens, coreligionnaires ou non, qui désormais ont maille à
partir avec les politiques doctrinaires que leur assènent leurs gouvernements.
Et à ce chapitre, même le gouvernement modéré d’Erdogan n’a pas échappé aux
manifestations anti-islamistes qui fleurissent dans le monde musulman.
Il est vrai que le régime iranien des mollahs
avait su réprimer sauvagement, il y a peu, les
velléités démocratiques de son peuple. La monarchie sunnite des Emirats arabes unis agit avec la
même contre sa population chiite : une mini-révolution étouffée dans
l’œuf, et dans le sang, sans que les occidentaux s’en émeuvent outre-mesure.
Ces mêmes occidentaux qui montrent les dents au gouvernement turc quand sa
population laïque- la laïcité en Turquie est un héritage d’Atatürk le fondateur
de la Turquie moderne- lui tourne le dos après un flirt de quelques années.
Quoiqu’il en soit la Turquie n’entrera jamais dans
l’Union européenne sous un gouvernement islamiste. Aussi modéré qu’il se
prétendit.
Républiques islamistes
Il faut se l’avouer : l’Occident avait été pris au
dépourvu par la rapidité avec laquelle le printemps arabe chassa du pouvoir le
président Ben-Ali et le rais Moubarak. D’autant que c’était des régimes
dictatoriaux bien confortablement installés depuis des lustres. Les despotes
qui les dirigeaient duraient grâce à l’appui des occidentaux, en charge de
revanche ils devaient réprimer toute avancée islamique dans leurs pays
respectifs. Un échange de bons procédés qui faisait pourtant perdurer la
tyrannie. Mais Realpolitik oblige…
C’est dire que la chute non annoncée de leurs alliés
naturels dérouta les chancelleries occidentales. Sans que celles-ci ne sachent
comment leur venir en aide sans avoir à sévir sur les gigantesques
manifestations populaires qui déboulonnaient ces statues autrefois inamovibles.
Les craintes des occidentaux se confirmèrent quand les islamistes s’emparèrent
aisément du pouvoir. Ces derniers s’aidèrent du désabusement de la population
face à des régimes autocratiques et corrompus. Même des musulmans modérés,
ainsi que parfois des non pratiquants, agréèrent cette alternance en faisant
confiance aux islamistes pour assainir la vie publique. Mais pas seulement, dans ces
pays les mouvements islamistes étaient les mieux organisés au sein de
l’opposition. Et aussi les mieux nantis financièrement. Les "Frères
musulmans", et cette autre entité islamiste tunisienne rapidement rebaptisée
Ennahda, étaient depuis longtemps déjà financés par les monarchies sunnites du
golfe persique. Ceci explique cela…
Le moment de stupeur passé, les occidentaux ont
patiemment attendu que les islamistes se dévoilent en démontrant qu’ils ne
peuvent se distancer du coran. Et surtout que la charia, la loi islamique,
guide en fin de compte toutes leurs actions. Sociales ou politiques. Un
attentisme que la France a refusé d’observer en intervenant militairement au
Mali afin d’y chasser les islamistes. Il faut tout de même dire que ces
derniers avaient eu le front de se réclamer d’Al-Qaïda au Maghreb
islamique(ACMI). Et que leur intention avouée était d’instaurer une république
islamique au Mali.
Depuis, les termes "république" et
"islamique" ont fini par se contredire, paraissant de plus en plus
antinomiques. L’histoire récente démontre qu’on ne peut, au vrai, être
républicain et islamiste. Ou vice-versa.
Aujourd’hui les régimes islamistes sont poussés dans
leurs derniers retranchements par des populations harassées. Leur modèle de
démocratie est scruté à la loupe, pour qu’à la moindre entorse aux libertés
individuelles on les chassât du pouvoir.
EMERY
UHINDU-GINGALA GINGANJ
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