CHRONIQUE
LE NEGRE DE SERVICE
A y regarder de près on se rend compte que le Noir a atteint, avec Barack Obama, aux plus hautes sphères internationales. De nombreux acteurs émergeant sur le plan international sont de race noire, l’homme le plus puissant de la terre est un Noir. Qu’il ne le soit qu’à moitié ne compte pour rien, tout le monde sait qu’une seule goutte de sang noir suffit à noircir tout l’hémoglobine. Mais il y avait déjà eu, avant Obama, le Ghanéen Koffi Annan au poste de secrétaire-général de l’ONU ; sans oublier que depuis le siècle dernier la plus prestigieuse icone internationale vivante demeure Nelson Mandela ! Et l’animatrice Oprah Winfrey est certainement plus connue, sinon que plus puissante, que la chancelière allemande, Angela merkel…
Aux morts il convient de laisser le soin de se disputer lequel, de Michael Jackson et d’Elvis Presley est, était, le plus grand en son art. Ceci dit il ne manque plus au tableau de chasse de l’homme noir que la papauté. La chose aurait pu être accomplie pendant la dernière élection du souverain pontife qui a vu le couronnement du pape François. Dans l’entretemps le controversé procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), l’Argentin Luis Moreno-Ocampo, a cédé son fauteuil à la Gambienne Fatou Bensouda. Personne de censé ne tient compte de mauvaises langues qui posent que Mme Bensouda aura bénéficié d’une sorte de "discrimination positive" ; et que précisément elle aurait obtenu ce prestigieux poste parce qu’elle Noire. Et femme ! Or donc tous les acteurs internationaux noirs s’accordent lorsqu’ils témoignent qu’ils n’ont pas droit à l’erreur ; et qu’ils ne doivent d’être ce qu’ils sont, ou bien où ils sont, qu’à un prix plus élevé que ce à quoi consentirait un Blanc. Mais qui s’en étonne réellement ? Cependant en ce qui concerne la CPI un doute, une légère suspicion, fait son bonhomme de chemin depuis que Fatou Bensouda y préside l’Accusation. Le doute n’entoure guère ses compétences, mais le fait que ce soit une femme noire qui est désormais chargée de trainer devant la justice internationale une clientèle essentiellement négro-africaine, à quelques exceptions près. On peut soupçonner que dans ce cas précis il ne s’agit non pas d’une discrimination positive, mais d’une volonté délibérée d’instrumentaliser les prestations du procureur général. Du moins de l’influencer, de l’orienter. Ce ne serait pas la première tentative du genre dans cette institution de justice internationale. C’est maintenant de notoriété publique que la CPI est une institution plus politique que juridique. L’ancien occupant du poste, le procureur Ocampo, est pour beaucoup dans cette perversion, ce mauvais jeu de rôle. L’Argentin a tant contribué à décrédibiliser la charge de son poste que sa remplaçante hérite d’un cadeau empoisonné. Luis Moreno-Ocampo ne s’est évertué, dans l’instruction de ses causes, qu’à obtempérer aux injonctions des pays occidentaux comme si sa vie en dépendait. Le plus curieux en est que l’ancien procureur avait à cœur de contenter, mais à la lettre, les désidératas des Etats-Unis alors même que ce pays ne reconnait pas la CPI ! Aujourd’hui ses chefs d’Etats subsahariens s’insurgent contre le fait, insolite il faut en convenir, que l’instruction à charge de la CPI ne concerne que les négro-africains. Et ce dans une proportion de quatre-vingt-dix pour cent. D’aucuns pensent que ces dirigeants africains n’ont d’autre intérêt que celui d’assurer leurs propres arrières ; et qu’ils craignent par-dessus tout de figurer un jour au nombre des pensionnaires des geôles de La Haie. Qu’à cela ne tienne, en tous les cas ils ont expressément demandé que les chefs d’Etats en exercice ne soient plus poursuivis par la CPI. Rien de moins ! Mais des voix discordantes, en Afrique même, rétorquent qu’une telle mesure ouvrirait une voie royale à plus de dictature ; avec pour corollaire des présidents qui s’accrocheraient au pouvoir de peur d’être appelés à comparaitre devant la justice internationale une fois leur mandat révolu. Qu’elle soit justifiée ou non, la sortie des chefs d’Etat africains vient opportunément conforter la position de ceux de leurs pairs qui sont déjà accusés à la CPI. Le Soudanais Omar El-Béchir a désormais l’assurance de n’être plus appréhendé nulle part en Afrique. Cependant que le président Uhuru Kenyatta du Kenya, ainsi que son vice-président, jouent la montre et en viennent à espérer que les charges retenues contre eux seront sinon différées, ou simplement abandonnées dans la foulée.
A ce point du processus le dilemme est du côté de Mme Bensouda. La nouvelle procureure de la CPI ne peut sortir gagnante de cette joute. A moins d’y être aidée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Car il ne faut guère s’y tromper, c’est bien cet organe politique, dont au moins trois membres (Russie, Chine et États-Unis) ne sont pas signataires de l’acte constitutif de la CPI, qui dicte la partition. Une incompréhensible situation. Oubliant Chinois et Russes les plus radicaux anti-américains entonnent le "Babylon makes the rules", la loi du Blanc, pour évoquer la loi du plus fort. Or donc du temps du procureur Ocampo les choses avaient l’avantage d’être claires. L’homme obtempérait aux injonctions sans demander son reste. Depuis son départ c’est le flou artistique, nul ne sait ce que fera l’Africaine commise à ce poste. Si Fatou Bensouda supporte ne serait-ce qu’une seule demande émise par les chefs d’Etats africains à Addis-Abeba la communauté internationale, c’est-à-dire l’occident, ne manquera pas d’y voir un acte de complaisance en faveur des dictatures africaines qui sévissent, semble-t-il, plus que les régimes chinois, russes, iraniens, saoudiens, ou autres nord-coréens… Mais elle ne peut ostensiblement ignorer les desideratas des leaders politiques africains, ceux-ci l’accuseraient, comme le font certains déjà, de faire le jeu des occidentaux. Elle sera jetée aux gémonies, traitée de faire-valoir ou pire, de "négresse de service". Pour la procureure générale le statu quo est tout simplement intenable. Elle est condamnée à poser un geste politique d’envergure envers les Africains. Autrement Mme Bensouda peinera à remplir son mandat en ce qui concerne l’Afrique en tous les cas. Or donc l’Afrique constitue l’essentiel du "vivier" de la CPI depuis sa constitution. La nouvelle procureure a la lourde mission, autrement plus importante que les mises en accusations, de redorer l’image de la CPI. D’autant que la crédibilité de cette instance juridique internationale a été largement entamée par son prédécesseur, l’Argentin Ocampo, dont la servilité envers l’occident a souvent prêté à la caricature. Pour autant quelque fermeté que veut bien présenter l’actuelle procureure générale, elle ne sait plus trop sur quel pied danser, prise en otage entre les présidents africains et le Conseil de sécurité. Elle doit s’assurer la collaboration des uns pour mener à bien ses enquêtes sur le terrain d’abord ; et surtout pour interpeller les "délinquants" à assigner devant la justice internationale. De l’autre côté, c’est l’ONU son employeur…Mme Bensouda devra nécessairement décevoir l’une des deux parties. En l’occurrence elle aura moins à perdre si elle cédait du lest en faveur des présidents africains, d’autant que leur "cause" jouit d’une substantielle popularité auprès des populations du continent. Surtout auprès de la jeunesse de plus en plus réfractaire à toute forme de néocolonialisme, avéré ou non. Nombreux parmi cette jeunesse, pour exemple, tiennent l’ex président ivoirien Laurent Gbagbo pour un héros dont la chute n’a été occasionné que parce qu’il a su résister à l’impérialisme franco-occidental. D’ailleurs tous les observateurs de la scène politique africaine estiment que la l’acquittement de Gbagbo est désormais du domaine du possible ; sinon qu’une requalification des charges qui lui sont imputées, pour une peine beaucoup plus légère… Une brèche ouverte à d’autres acquittements tels ceux des présidents et vice-présidents kenyans. Le plus spectaculaire serait sans doute la libération du leader congolais Jean-Pierre Bemba… Mais si on n’en est pas encore là on s’approche inexorablement, sous la pression des chefs d’Etats africains, à des tels scénarii encore inimaginables il y a peu. A dire le vrai la CPI ne peut s’engager sur cette voie sans l’aval préalable du conseil de sécurité de l’ONU. Mais il est de bon ton, advenant cette probable éventualité, que l’occident crie à la vierge effarouchée pour sauver la face de la "négresse de service". Politique oblige… Les présidents ivoirien Ouattara et congolais Kabila, lesquels ont tout à perdre, expérimentent la Realpolitik. Ils auront cru à tort à la loyauté de la communauté internationale. Pour autant, une telle réingénierie de la justice pénale internationale doit nécessairement se refléter dans les appareils juridiques domestiques. En des termes plus prosaïques, la CPI est souvent accusée de soutenir, en Côte d’Ivoire pour exemple, la "justice des vainqueurs". Plusieurs en RDC avancent que Jean-Pierre Bemba ne doit d’être à La Haie que pour laisser les coudées à Joseph Kabila ; du temps où celui-ci était dans les bonnes grâces de l’Occident… Le signe le plus évident d’un changement de paradigme idéologique dans la "communauté des puissants" en est la lente et sûre disgrâce de Paul Kagamé. Plus personne ne souhaite être surpris en présence de l’inamovible président du Rwanda. La voie est désormais pavée devant lui pour une assignation à la CPI. Il semblerait donc que l’instrumentalisation du génocide ne fonctionne plus. L’assignation de Kagamé libérerait définitivement la procureure Fatou Bensouda du piège dans lequel l’a précipité Luis Moreno-Ocampo. D’autant que peu de présidents africains sont disposés à se battre pour Paul Kagamé, ce monument d’arrogance aux mains entachées de sang. Celui des autres. Et des siens !
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ FoQusMedia.com