UNE DICTATURE PRÈS DE CHEZ VOUS
Certains pays africains (surtout ceux que borne la Méditerranée) sont à un vol d’oiseau de l’Europe. De là on peut voir à loisir les dictatures qui y sévissent et porter la guerre à l’intérieure de leurs frontières. Afin seulement que, affirme-t-on, de "se porter au secours des populations civiles" ! Cette posture va-t-en guerre est désormais légitimée par la disposition 1973 de l’Onu ; laquelle a été rapidement évoquée pour se substituer à l’ingérence humanitaire. Principe difficilement défendable, s’il en est, puisqu’il va à l’encontre de cet autre principe au demeurant consacré par la charte onusienne : la souveraineté des nations. Or donc, même au-delà de la Méditerranée, loin de toute attache sauf celles qui rappellent la colonisation, les expéditions européennes s’abattent en Afrique ainsi qu’en terrain conquis.
De crainte d’être accusée de faire cavalier seul (l’unilatéralisme est actuellement malvenu) l’Europe convoque l’Otan à ses croisades expéditionnaires en Afrique. Aussi Washington exige, pour sa participation logistique à des opérations militaires que réprouvent les Républicains, des dehors de légalité. Ainsi depuis que le commandement militaire en Libye est passé entre les mains de l’Organisation de l’Atlantique Nord, les avions de guerre américains se sont retirés du raid aérien sur le pays de Kadhafi.
Traditionnellement la politique internationale américaine oscille entre immobilisme et interventionnisme. Selon que l’administration est républicaine ou démocrate. Sauf exception lors il s’est agi de répondre à des attaques visant directement le peuple américain. Ou présentées comme telles par les stratèges de la Maison blanche afin de cristalliser les sympathies autour d’un président en mal de popularité. Les invasions de l’Irak par Georges Bush père et fils ne répondaient qu’à cette préoccupation électoraliste. L’un y échoua, mais pas l’autre.
Or donc aujourd’hui les Européens tentent, au petit bonheur la chance, et la France en tête, de faire l’amalgame entre la "guerre aux dictateurs africains" et la "guerre au terrorisme" chère aux Américains de toute obédience ! Ils y ont, jusqu’ici, réussi sans grande difficulté. Tant les leaders africains, contrairement à leurs populations, sont tétanisés par la peur. Même ceux, rares il faut l’avouer, qui n’ont rien à se reprocher.
Beaucoup, en Afrique même, applaudissent à ces intrusions militaro-humanitaires dont la protection des populations ne constitue que la partie immergée de l’iceberg. Sans s’interroger sur les réelles motivations de cette subite et étrange inclinaison de compassion, pourtant aux relents de néocolonialisme, de l’Occident pour l’Afrique. Rien pourtant dans l’Histoire ne suggère un tel altruisme. Tout au contraire : esclavage, colonisation, soutien des dictatures, spoliation des richesses naturelles, ponction des cerveaux…
Aujourd’hui Lampedusa (Italie), demeure le lieu symbolique des hordes hagardes des ces Africains qui fuient la guerre que l’occident a portée chez eux. Et qui sont reconduits manu militari dans leurs pays une fois franchies les frontières de l’Italie. Quand bien même ils sont munis du précieux sésame qui les autorise pourtant de circuler librement en Europe. Devant cet afflux massif de ceux qu’on est allé sauver, la France, pour ne citer qu’elle, a décidé de révoquer "temporairement" les accords de Schengen sur la libre circulation des personnes au sein de l’espace européen ! Ainsi qu'elle le fit jadis pour les Rroms. Compassion n’est pas synonyme de cohabitation. Même si elles riment. Loin des yeux, près du cœur…
L’adage est à ce point d’actualité qu’aux portes de l’Europe - a contrario, près des yeux loin du cœur- sévit l’oppression sans que nul ne s’en émut outre mesure. Le président Alexandre Loukachenko du Belarus, au pouvoir depuis 27 ans, a fait incarcérer tous les candidats à la présidentielle à l’issue de sa controversée réélection de 2010. Vingt-sept en tout, sans compter le principal opposant au régime, Andreï Sannikov, un ancien vice-ministre des Affaires étrangères et principal rival de M. Loukachenko à la présidentielle du 19 décembre dernier. Ce dernier vient d’être condamné à cinq ans de prison ferme. Même son épouse, la journaliste bélarusse Irina Khalip, n’a pas été épargnée. Elle écope de deux ans avec sursis.
Sa liberté d’expression ne lui permettait pas de s’insurger contre la réélection du dictateur de Grozny.
Personne, au vrai, ne s’attend à ce que la France, ou même l’Otan, ne marchât sur ce pré-carré de la puissante Russie. La barbarie peut continuer à y sévir à loisir tant que le despote de Minsk demeurera loyal à Moscou. Le Conseil de sécurité de l’Onu a tant à faire en Afrique qu’il ne votera aucune disposition contre Alexandre Loukachenko ; puisqu’il est assuré que la Russie y apposera son véto !
Cette même logique prévaut pour Israël. La palme des résolutions onusiennes bafouées est toujours détenu par Tel-Aviv. Depuis sa création en 1948,Israël aura bafoué près d'une centaine de résolution du Conseil de sécurité de l'Onu. Sans compter celles provenant de l'Assemblée générale de la même institution. Un statut que l’État hébreux n’est pas près de perdre sans même sacrifier à une quelconque loyauté envers qui que ce soit. Bien au contraire ce sont les autres, tout l’Occident, qui finissent toujours par se plier aux desideratas d’Israël quelque soit le crime dont ce pays se rend coupable. Des exactions (à l’encontre des Palestiniens, des Libanais, des activistes pro-Palestiniens…) qui dépassent en nombre, et parfois en horreur, tout ce qui se passe en Afrique. Mais le gouvernement israélien, lui, ne tue pas sa "propre" population. Mais seulement les autres. On lui doit un sens indéniable du manichéisme. Partant on devrait tout lui pardonner, lui accorder que toutes les morts ne se valent pas. La mémoire…
Que dire de la Corée du Nord et du Myanmar tous les deux protectorats du "grand-frère chinois" ? Que déjà Beijing, l’affairisme occidental oblige, n’est plus l’autocratie absolue que d’aucuns crurent voir jadis Place Tienanmen. Or donc du vice ne peut découler la vertu…
De telles situations sont légion et défraie la chronique le temps de quelque indignation hypocrite que la Realpolitik ne tente même plus de justifier. Ni d’expliquer.
Le "parrainage" diplomatique, sinon que la protection d’un des puissants (généralement membre du Conseil de sécurité de l’Onu)- constitue le sésame de l’impunité. C’est cela les relations internationales : une trame construite autour du rapport de forces ; et dont allégeance et vassalité sont les formes les plus explicites de la sujétion d’une nation à une autre, hier et aujourd’hui. Sauf pour Israël, tous se doivent d’y sacrifier à un moment ou autre. Ceux des dirigeants africains, dictateurs ou non, qui ont semblé l’oublier sont aujourd’hui brutalement rappelés à cet ordre ancien, vieux comme le monde. Cependant que d’autres, dont l’ambition personnelle a obscurci l’honneur, ont ouvert une voie royale à la France en Afrique. Paris n’en espérait vraisemblablement pas tant, mais l’Hexagone ne boudera pas son plaisir. Et son pouvoir opportunément renouvelé sur l’Afrique francophone et arabophone.
Toute compromission appelle un prix. Un tribut que souvent seule la postérité, hélas, devra payer. Tôt ou tard.
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ