vendredi, octobre 13, 2006

LES MURS DES LAMENTATIONS

Les fortifications, même réputées imprenables, n’ont jamais vraiment rebuté les vaillances. L’appât du gain, l’appel de quelque objectif, sinon que celui du large, a toujours motivé l’aventurisme.
Si la conquête, pour ce qu’elle représente de prise de contrôle a justifié- ou du moins a expliqué- l’abordage des forteresses d’antan, il en va tout autrement aujourd’hui. Ce n’est des fois que pour une simple quête de vie, c’est souvent pour survivre que des milliers d’être humains vont, parfois au péril de leurs vies, de l’autre côté du mur. Vers l’ailleurs. Vers la terre qu’ils veulent promise, actualisant ce pays biblique où coule le lait et le miel.
EMERY G. UHINDU-GINGALA


Le monde libre applaudit au démantèlement du mur de Berlin, sur lequel jadis venait s’échouer les espérances et les lamentations des captifs du communisme. Des milliers d’Allemands de l’Est n’avaient pas attendu que le mur s’écroulât "officiellement" pour l’aborder. Souvent leurs corps criblés des balles jonchaient les pieds du mur. Soulignant l’héroïsme de ceux, tout de même nombreux, qui passaient de l’autre côté. La bipolarité du monde de la guerre froide associait les actions de ces transfuges au militantisme politique; cependant qu’ils n’aspiraient, dans leur majorité, qu’à une vie meilleure : libres et affranchis de la pauvreté. L’Allemagne de l’Est, d’où ils s’échappaient, peinait sous le joug d’un régime dictatorial rationnant avec la même austérité tant les biens de consommation que les droits individuels. Le mur de la honte s’écroula sur les absurdes prétentions d’une idéologie hasardeusement voulue totémique; et qui contenait en elle-même les germes de sa propre destruction; symbolisant un monde révolu…
Puisqu’on le vit, on le crût!
En Afrique du sud, le mur de l’apartheid subsista durablement du fait de son immatérialité, et du soutien que lui accordèrent plusieurs démocraties occidentales. La ségrégation raciale, cette fortification érigée entre deux communautés, deux destins, campaient la majorité noire dans un état des sous-hommes. Mais également en Rhodésie voisine (Zimbabwe) de Ian Smith. Et ce, dans l’Afrique noire!
Peu à peu le pouvoir pâle finit par céder sous la tardive opprobe de la communauté internationale, couplée aux assauts répétés d’une majorité noire, mais peu silencieuse. Aussi parce que la détermination d’un homme, un seul, entama les fondations de la barbarie; révélant au monde entier, faussement ébahi, le funeste du projet raciste. Nelson Mandela, du fond des geôles sud-africaines, tel un Hercule des temps moderne, mais assujettit à vingt-sept ans des travaux forcés, eut raison d’une des plus fantasmatiques méchancetés humaines. Choqué, le monde se fendit d’un autre plus jamais ça

Autres temps, autres murs…
Plus d’une décennie plustard, au 21e siècle, et comme surgissant du passé, des murs dont l’anachronisme ne détonne pourtant pas, inaugurent une nouvelle ère de "développement séparé". Au sein même, aux frontières du monde libre…Si les uns craignent le déferlement, le flot migratoire des hordes affamées -et néanmoins oppressées- venues du Sud, d’autres plus pragmatiques revendiquent le "tout sécuritaire" pour justifier cet apartheid dont tous refusent pudiquement à dire le nom! Et d’y aller de la construction des murs dont jadis ils fustigèrent l’érection ailleurs. Faisant fi des lamentations de ceux- un malheureux voisinage- pour qui cet hostile confinement peut avoir valeur de vie ou de mort! Les États-unis se protègent, mais vainement, d’une massive immigration mexicaine, en se fortifiant par une muraille de béton censée ficher sa pierre sur les 3.000 Kms de frontière que partagent les deux pays! Pour une efficacité mitigée, si l’on en croit les services américains d’immigration. Dans leur quête du saint Graal, le rêve américain, les Mexicains semblent avoir trouvé la formule leur permettant de passer au travers du mur; défiant les inspections terrestres et héliportées des gardes-frontières. Même le spectre du désert- que d’illégales milices puissamment armées surveillent jours et nuits- ne parvient pas à entamer la détermination des plus résolus. C’est-à-dire presque tous. Ceux qui sont pris, capturés devrait-on dire, reviennent immanquablement à la charge. Encore, et encore…
On ne brave pas de tels "dangers" pour le plaisir. On ne va pas à l’assaut de tant des barrières sinon que, à les franchir, on espère s’affranchir d’un statu quo confinant à la mort.
Mais les Américains ne sont pas des sauvages. C’est de notoriété publique. Aucun de ceux qui s’approchent du mur n’est prit pour cible par des tireurs d’élite embusqués dans des miradors. Comme ce fut le cas jadis pour Berlin-est. Grossier et barbare.
Pour contrer l’immigration -mexicaine- illégale, un budget pharaonique, destiné à l’électrification du mur, est en passe d’être voté par le sénat américain. Tout simplement. Que les candidats au suicide se tuent eux-mêmes!
C’est de la dissuasion…A Washington on fait désormais dans la nuance, la subtilité!

L’état hébreu ne s’embarrasse guère de telles affabilités. Son mur ne fait pas que séparer. Il repousse les frontières déjà tenues des territoires palestiniens. Sa construction étant inspirée par des motifs de sécurité, sa configuration cisaille les propriétés des Palestiniens, exproprie, serpentant allègrement à l’intérieur de Cisjordanie et de la bande de Gaza; pour qu’enfin la dénomination exprimât la réalité : Gaza ne devient chaque jour qu’une minuscule bande qui sacrifie au rêve du Grand Israël!
Tel aviv ne fait d’ailleurs pas mystère de sa politique. Le projet du gouvernement israélien proclame sans ambages son intention : le développement séparé d’avec les Palestiniens…Il n’y a que l’arrogance de l’acte pour rappeler le sentiment d’impunité dont Israël pense se prévaloir. Puisque la communauté internationale, dont ce n’est pas le pire des atermoiements, affecte de ne pas savoir.
Mais à quelque chose malheur est bon, dit-on : Les Palestiniens ont maintenant un mur sur lequel se lamenter!
Avant qu’il ne se transforme en lieu de martyr. En sépulcre.
EMERY G. UHINDU-GINGALA