vendredi, mars 27, 2009

L’Afrique, bête noire de la CPI?

PUTCH, MEURTRES, VIOLS ETC.!

Depuis peu les intellectuels africains, relayant ainsi les chefs d’états du continent, tirent à boulets rouges sur la Cour Pénale Internationale(CPI). Elle est accusée de pratiquer une justice à deux vitesses : vigilante sur l’Afrique, la CPI serait peu regardante- on dit qu’elle détourne pudiquement les yeux- sur toutes les exactions perpétrées au Moyen-Orient, par exemple. Comme si un crime ne trouve à se qualifier de la même manière partout. Et qu’à certains ailleurs les victimes innocentes sont de facto, et maintenant aussi de jure, répertoriées dans le cynique registre de "dommages collatéraux". La CPI joue de plus en plus sa réputation en Afrique en se réputant implicitement incompétente pour certains cas "délicats". De peur, tous en sont désormais convaincus, d’accuser ceux qu’on ne saurait assigner en justice.
Une justice pour les faibles donc?
EMERY G. UHINDU-GINGALA


Les faits pourtant parlent d’eux-mêmes : Au cours des six derniers mois l’Afrique, qui en est manifestement le terrain de prédilection, a connu rien de moins que quatre coups d’états militaires! Ou ce qui semble s’y apparenter.
Mauritanie, Guinée-Conakry, Guinée-Bissau et depuis peu Madagascar ont de nouveau sacrifié à une vieille tradition que l’on avait cru, ingénument il faut en convenir, révolue. Chassez le naturel…
Au sud du Sahara, ce dernier retranchement réfractaire à toute idée de réel changement, les vieilles habitudes, mais peu souvent les bonnes, sont tenaces, récurrentes. Aujourd’hui on sait qu’elles sacrifient surtout à un phénomène de mode.
Ainsi donc, passée la vague des démocratisations tout azimut où dictateurs de tout acabit se refaisaient une respectabilité par le biais de scrutins tronqués, l’heure est à nouveau au bon vieux putsch qui avait connu jadis ses jours de gloire, sans nuances, revendiqué comme tel, c’est-à-dire dans sa vieille terminologie idéologique : la libération des masses populaires de l’oppression et du diktat des puissants! Or doc à Antananarivo, sur la petite île de l’océan indien, ce sont ces masses populaires qui ont renversé l’ordre constitutionnel : le président démocratiquement élu Marc Ravalomanana s’est vu chassé du pouvoir; et ce dernier a été remis à l’opposant Andry Rajoelina, ex-maire de la capitale, ancien disc-jockey devant l’Eternel!

Les chefs de guerre
Il faut dire qu’on avait senti le vent tourner avec la brusque irruption des chefs de guerre sur le devant de la scène. On reconnait à ces "commandants des animaux sauvages" certaines "trans-caractéristiques" presque immuables : Condottieri accidentels les plus souvent, douteux héros vulgairement apparentés aux desperados pour certains- leur soif de richesse n’a d’égale que l’exercice du pouvoir; ou l’inverse - aventuriers sans scrupules dans leur grande majorité, c’est une espèce qui se nourrit de l’irrédentisme, même si elle s’en offense en public. Ce dernier phénomène, l’irrédentisme, connait un nouvel essor avec l’exacerbation des nationalismes causée par les guerres; et leur corolaire, l’exil, le déplacement des populations, l’immigration forcée…
Les chefs de guerre sont souvent crées, in vitro, dans les capitales des pays voisins. Quitte, pour les dirigeants de ces pays, parfois déclarés “amis", de se poser en incontournables dans la résolution du conflit…local. Le prix, bien entendu, est à la mesure de la "stabilité" qu’on dit avoir réinstaurée. Si ici c’est seulement le contrôle politique, ailleurs c’est l’appât des richesses. Pour les pompiers-pyromanes, point de gratuité pour leur forfaiture.
Le scénario, banalisé par sa récurrence, est le même de l’est (la Somalie et l’Éthiopie) à l’ouest (la Côte-D’ivoire et le Burkina-Faso), et au centre la RDC et le Rwanda. Partout ces faux sauveurs se sont payé d’une manière ou d’une autre. Souvent de la façon la plus sanglante qui soit…
Or donc dans le sillon des chefs de guerre s’amoncelle des milliers- plus de quatre millions pour la seule RDC- de victimes innocentes. Jusqu’au jour où, tel un astre échappé de son orbite, ils s’émancipent du contrôle de leur protecteur. Et là, ces nouveaux Frankenstein, galvanisés par des succès militaires remportés sur les forces gouvernementales- alors même qu’ils ne les doivent le plus souvent qu’à l’apport extérieur- se livrent aux pires exactions, à la barbarie : massacres des populations civiles, pillages, viols, enrôlement forcé des enfants dans les rangs de la rébellion etc.
Rien d’étonnant donc à ce que ceux qui si ouvertement méprisent la vie humaine, les chefs de guerre, soient la cible privilégiée de la CPI; dont le mandat est justement de juger les cas d’impunité.
De ce point de vue l’Afrique n’aurait-elle pas tout à gagner de ce que la CPI se mêle de ses affaires en la débarrassant, même si et surtout avec un zèle que d’aucuns qualifient de sélectif, de sa mauvaise engeance : Ces fils indignent qui assassinent, mutilent et endeuillent ceux-là même qu’ils prétendent vouloir libérer. Les télévisions du monde entier ont largement diffusé les propos de Laurent Nkunda, ce généralissime de pacotille qui se posait, tout en les massacrant joyeusement, en sauveur de tous les Congolais! Avant de n’avoir été, au départ, que celui de ses "frères tutsis"…L’ambition, ici la plus démesurée qui fut, naquit avec la pratique du pouvoir et l’usage de l’argent facile. Et la bénédiction intéressée de ses commettants!

Le syndicat des chefs
Lorsque les chefs d’états africains déclarent, au mieux, que les Africains sont capables de gérer leurs propres problèmes, ou que : « nous rejetons le paternalisme infantilisant de la CPI », on perçoit dans ces propos volontaristes une certaine hypocrisie teintée d’inquiétude. Sinon qu’une sombre solidarité entre membres d’une même confrérie occulte : le syndicat des chefs d’états africains. Or donc parmi eux peu ont la conscience tranquille. Ne sait-on jamais : à qui demain sera le tour? D’où ce reflexe, de survie, de se serrer les coudes. En détournant pudiquement les yeux devant les affres- parfois même affreux- de ses pairs. Autrement, au nom de quoi Robert Mugabe du Zimbabwe et le Soudanais Omar-El-Béchir pourraient-ils trouver crédit auprès de la majorité des chefs d’états africains, lors même leurs crimes sont de notoriété publique?
Le seul pays africain qui s’est pourvu de la compétence universelle pour juger les crimes contre l’humanité, le Sénégal- on se demande bien d’ailleurs pourquoi- peine encore à rendre justice aux victimes d’Hissène Habré . Le sanguinaire tchadien continue de couler, depuis plus d’une décennie, des jours heureux dans un exil doré…au Sénégal! Et n’eut été du mandat d’arrêt de la CPI, Charles Taylor, l’ex-dictateur du Libéria, en serait peut-être encore aujourd’hui à jouir de ses diamants extraits de la terre ensanglantée de la Sierra-Léone, etc.
Force est de constater que, plus que les seuls moyens, l’Union africaine(UA)- ce syndicat des chefs d’états- n’a pas la volonté politique d’exercer la justice envers meurtriers qui s’en prennent aux populations civiles du continent. Que ces derniers fussent chefs d’états ou chefs de guerre! Et rien à ce jour n’indique un changement de philosophie politique propre à combattre l’impunité. Au contraire : la majorité des gouvernants africains fustigent ceux qui condamnent; et s’abstiennent de condamner ceux dont la communauté internationale fustige les meurtrières actions…
Il y a désormais péril en la demeure- le pire, il faut le craindre, est à venir- depuis l’élection du colonel Mouammar Kadhafi à la présidence de l’UA. Putschiste lui-même depuis 1969, l’homme est résolument réfractaire, et l’on peut aisément le comprendre, à toute solution sacrifiant à l’ordre constitutionnel et démocratique.
Pour ce qui concerne les crimes qui sont du ressort de la CPI ( crimes de guerre, contre l’humanité, de génocide…), hormis le Congolais Jean-Pierre Bemba appréhendé en Belgique, seuls quelques seigneurs de guerre ( ainsi que des "génocidaires hutus" rwandais) ont été, subrepticement et comme honteusement, remis entre les mains de la justice internationale par des gouvernants africains. Aucun de leurs pairs, au pouvoir ou non, ne court le risque d’être concerné par ces demies mesures censées apaiser plutôt que réparer. Car, ne disposant pas d’une force armée, la justice internationale compte sur la coopération, et la bonne foi, des gouvernants pour lui livrer les quidams visés par des mandats d’arrestation internationaux.
In fine, la résurgence, la multiplication et la prolifération des conflits armés en Afrique sont tout simplement propices aux exactions qui y sont perpétrées au quotidien. Pis, il règne sur le continent une culture de l’impunité qui encourage la forfaiture. Tous l’ont bien compris.
La CPI fait fastidieusement le travail que les chefs d’états africains ne veulent pas faire.
Ou ne peuvent.
EMERY G. UHINDU-GINGALA