Chronique
By FoQus Media on Saturday, March 31, 2012 at 5:23am
SENEGAL
AU NOM DU FILS
L’amour, lorsqu’il est porté à son paroxysme, peut se révéler dévastateur pour qui fait l’objet d’une telle passion. D’autant que ce genre d’assiduités, à la longue, sont susceptibles d’être ressenties comme subies, surtout lorsqu’elles envahissent et étouffent. Il n’est pas rare cependant que cet amour dévore aussi celui qui l’éprouve si intensément, au point de lui faire perdre raison.
Ainsi donc, au soir d’une vie plutôt mal remplie, Maitre Abdoulaye Wade s’est tant épris de son fils Karim, sur le tard semble-il, qu’il a décidé d’élever son frileux rejeton sur de vertigineuses hauteurs.
Or donc n’atteint pas les cimes qui veut, surtout qui ne le veut pas, Karim semble y avoir le tournis, et donne l’impression de n’y être guère à sa place. À quarante ans révolus, et sage comme une image, le fils trop aimé, dans une éternelle juvénilisation, fait ce que papa lui dit de faire, il va où on lui dit d’aller. L’homme marche dans le monde politique courbé sous la pesante charge des ambitions paternelles, appelé, malgré lui, à perpétuer la dynastie Wade.
Ainsi que pour les princes héritiers, Karim n’a jamais vraiment eu d’autre choix que de s’insérer dans "son destin", en chaussant les bottes trop larges du père. Puisque ce père aura tout sacrifié, jusqu’à son honneur, pour que son fils lui fasse honneur. Sans que l’un et l’autre, d’ailleurs, n’aient eu de mérite à se couvrir eux-mêmes d’honneur.
Aujourd’hui Wade s’en va sous les huées de l’Histoire, chassé du pouvoir par ce destin qu’il avait voulu forcer au nom de ce fils beaucoup trop aimé.
Karim, désormais débarrassé du diktat paternel, pourra s’adonner au ludique, à cette vie libertine dont les "fils à papa" font profession. C’est peut-être là le destin duquel l’avait détourné la mégalomanie d’un père qui crut, à tort, qu’il était le patriarche d’une glorieuse lignée. Comme si Allah, par l’intermédiaire des marabouts des confréries Mourides et Tidianes, l’avait assuré qu’après lui- sinon qu’avec lui- sa descendance règnerait à jamais sur le Sénégal…
Piteusement Wade descend les strapontins du pouvoir, se dérobant au monde politique, sans possibilité de se réincarner en quelque chose de symbolique, à l’instar de son prédécesseur Abdou Diouf, qui passe une heureuse retraite dans la conviction que la francophonie lui doit une fière chandelle. À sa mort, cette dernière phrase pourra au moins lui servir d’épitaphe : « Ci-git un homme à qui la francophonie doit une fière chandelle ! ».
A contrario, Abdoulaye Wade risque de se mériter, au moment de rejoindre ses ancêtres décédés- d’aucuns souhaitent que ce moment ne se fera plus attendre maintenant- une oraison empreinte d’hypocrisie et de sournoiserie, puisqu’il n’est pas coutumier à l’Africain de tirer sur un cercueil. Surtout lorsqu’y dort un octogénaire. Or donc cet âge, considéré canonique en Afrique, a probablement évité à Abdoulaye Wade de se faire étriper par des jeunes excédés par une autocratie qui grandissait au fil des mandats rempilés à l’infini. Cette même jeunesse, à l’avenir plus qu’incertain, n’a pas supporté l’idée que Karim Wade devienne leur président au seul motif qu’il était né de la "bonne personne". Comme si cela seul suffisait, hors l’épreuve des compétences, pour se qualifier à l’exercice d’une charge qui réclame bien plus que la filiation. Or donc la science n’a pas encore isolé le gène qui prédispose à une présidence transmissible de père en fils !
En ce cas, et au vu de ce qu’a été le père, et si le fils en est un dégradé, les Sénégalais ont eu raison se défier de cette tentative, heureusement avortée, de transmission dynastique du pouvoir.
Au demeurant Karim Wade avait déjà sollicité la faveur de ses compatriotes en briguant la mairie de Dakar la capitale. Àprès qu’il y eut échoué lamentablement, son père, pour le consoler de sa peine, lui offrit un terrain de jeux plus vaste encore : un super-ministère d’État assortit de plusieurs portefeuilles, comme si la capitale en fin de compte était indigne que ce cher Karim l’honorât de sa précieuse incompétence. Celle-ci serait réservée à une responsabilité plus insigne et plus digne du fils, la présidence du pays !
Car rien n’est trop beau pour l’enfant tant chérit, il mérite le meilleur de la part de son père, et aussi des Sénégalais. Raison pourquoi les Dakarois l’auraient récusé : on ne le voyait guère ailleurs qu’à la tête du pays !
Abdoulaye Wade en était parvenu, dans un processus mental d’une extrême complexité, à penser que le pays lui appartenait de droit, sinon que de fait, quoi donc de plus normal qu’il conférât l’onction à son rejeton pour que celui-ci lui succède sur le trône ?
Car en tout bien et de bonne foi, tout le monde pouvait bien comprendre que la succession devait revenir au fils légitime, Karim, avant Macky Sall le "fils adoptif"…
Or donc au dernier moment, et en un seul instant empli d’une majesté factice, maitre Abdoulaye Wade, dans l’évident dessein de s’attirer un honneur dont il s’évertua pourtant à se défaire avec assiduité d’année en année par une posture félonne, Wade reconnut sa défaite au second tour du scrutin présidentiel, et ce, avant même que le dépouillement ne fut achevé !
La théâtralité du geste cache mal la volonté de sauver ce que l’on peut lors on coule corps et biens. Seigneur déchu tel l’ange des ténèbres, c’est avec la même malignité que l’homme ruse avec les augures, ânonnant hier, avec une superbe désormais perdue, son éclatante victoire au premier tour, il annonce aujourd’hui sa propre défaite. Comme si on avait besoin de lui pour l’établir…
Au vrai Abdoulaye Wade s’était perdu depuis longtemps déjà en perdant peu à peu le respect des Sénégalais. Et sa dernière sortie, pour désespérée et faussement humble qu’elle est, n’est qu’un appel du pied pour qu’il chaussât les souliers de ses prédécesseurs. Afin de perpétuer la tradition, dans laquelle il prétend quand même s’inscrire, d’un Sénégal enraciné dans la démocratie ! Puisqu’il serait lui aussi, contre toute attente, un démocrate…
Or donc d’être aussi changeant brouille tout repère pour son fils Karim, celui-ci est désormais plongé dans l’inconnu, si papa ne peut plus lui dire quoi faire, il s’expose à l’oisiveté d’où il eut peut-être mieux valu ne jamais le tirer.
Si Wade avait remporté les élections, beaucoup pensent qu’il aurait, chemin faisant, abdiqué le pouvoir au profit de son fils, donnant du coup à la reine d’Angleterre une bonne leçon d’alternance. Mais il a perdu, et avec lui Karim dont il avait lié le destin au sien propre, ainsi que tout père aimant. En d’autres termes, et à considérer les égarements de maitre Wade, c’est là une preuve d’amour que de s’attirer l’opprobre du monde entier au nom du fils !
Ce fils, mais qui peut encore en douter, qu’il a tant aimé. Mais bien mal.
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ
.