vendredi, août 11, 2006

LA VIE APRÈS LE POUVOIR

En République démocratique du Congo…démocratique!

À peine un mois avant la tenue du scrutin, les médias du monde entier se sont enfin souvenus que le plus grand pays d’Afrique centrale (aussi grand que l’Europe des quinze!), la République démocratique du Congo (Rdc), organisait ses premières élections pluralistes depuis plus de quarante ans.
Étrange négligence qui vient nourrir la suspicion des Congolais en l’endroit de la communauté internationale.
La Rdc aura donc vécue, en dépit de tout- et de tous- ses "élections historiques".
En attendant de savoir si elle survivra à l’annonce des résultats.

A l’heure actuelle rien n’est moins sur. Ce qui l’est pourtant, c’est la conscience qu’ont les deux principaux candidats à la présidentielle du prix à payer pour un éventuel échec : Un luxe qu’aucun des deux protagonistes ne saurait s’autoriser. Ni Joseph Kabila le président sortant, moins encore Jean-pierre Bemba, l’un de ses quatre vice-présidents… sortants, ne survivrait à un verdict négatif des urnes. Et leurs partisans respectifs ont bien pris la mesure de cette crise existentielle : être ou ne pas être président. Rien de moins. Partant, on assiste de chaque côté à des tentatives d’intimidation, et à des prises de position dont la radicalité ne laisse aucune place (du moins publiquement) au compromis; médiatisant les appréhensions bien réelles des deux prétendants majeurs à la présidence.
EMERY G. UHINDU-GINGALA

Les dés dont on disait qu’ils étaient pipés d’avance ont été jetés.
Et le sort avec. Mais pas celui que l’on croyait. Les Congolais aiment à faire mentir les choses.
La chronique d’une victoire annoncée, le plébiscite de Joseph Kabila aura tourné au chemin de croix. Au vrai, personne n’attendait Jean-pierre Bemba. Lui-même, au vu d’une piètre popularité, n’aurait probablement pas parié un franc congolais sur ses chances de devenir, à un moment de cette campagne, LE principal challenger de Kabila. Tant ce dernier était assuré de n’effectuer qu’une simple promenade de santé. La dernière semaine de la campagne aura été déterminante en ce sens que les Congolais, tardivement il faut en convenir, ont finit par adhérer massivement aux postulats hostiles à Joseph Kabila. Lesquels situent ses origines au Rwanda (Tutsi-ennemi!) voisin.
De plus, les Congolais font une lecture tendancieuse des accointances déclarées du président sortant avec la communauté internationale (essentiellement la Belgique, la France et les États-unis). Ils y voient- ont été graduellement amenés à y voir- une collusion occulte, un "pacte avec le diable" que Kabila aurait signé avec des puissances prédatrices de la Rdc. Et pour le démembrement de laquelle il serait favorable. Étant donné que sa qualité d’étranger - à propos de laquelle il a lamentablement échoué à asséner la preuve du contraire- l’éloigne des préoccupations proprement patriotiques…Contrairement à Jean-pierre Bemba, sommairement élevé au statut, tout de même peu glorieux, de " moindre mal".
Mais l’homme ne s’en formalisera sûrement pas, il n’en espérait pas tant, lui qui n’avait plus rien à perdre. Et qui se trouve à faire des gains plus que substantiels. Puisque l’opinion nationale (et même internationale!) le crédite désormais des chances de l’emporter sur Joseph Kabila pourtant donné largement gagnant jusque il y a peu.
La lutte est désormais équilibrée, et l’écart entre les deux prétendants au trône à ce point rétrécit, qu’aucun oracle congolais n’ose se risquer à en prédire l’issue. Mais les analystes, eux, penchent pour un deuxième tour beaucoup moins serré entre J. Kabila et J.-P. Bemba.

L’épée de Damoclès
Bien plus que la détention du pouvoir lui-même, ce qui rend la lutte aussi âpre est le sentiment, équitablement partagé par les deux adversaires, que leurs lendemains sont décidément peu sûrs une fois expurgés des lieux de décision politique. Et retirée la rassurante immunité qui protège des poursuites judiciaires. Surtout. Dotés des curriculum vitae peu orthodoxes, nos deux quidams craignent la justice : internationale pour Bemba.
Le Tribunal Pénal International (TPI) souhaiterait l’entendre sur des allégations de crimes de guerre. Massacres qui auraient été perpétrés par ses milices sur les populations de la province orientale.
Kabila pourrait, quant à lui, faire face aux tribunaux de la Rdc pour divers assassinats politiques; et pour un chef d’enrichissement illicite pour lequel, au vrai, il aurait bien du mal à offrir une justification probante. Un pareil contexte est bien évidemment propice à l’inquiétude. D’autant qu’on sait que chacun s’empressera à livrer l’autre sans état d’âme. Afin de se débarrasser d’un adversaire plus que gênant : redoutable…
Mais seul le dilettante peut croire que l’un et l’autre des protagonistes n’ont pas déjà ourdi de parade. Commune. Face au même danger les deux compères d’il y a peu se doivent de négocier. Non pas de gaîté de cœur, l’on s’en doute un peu, c’est qu’ils n’ont tout simplement pas d’autre choix que de se protéger mutuellement. Pendant que leurs partisans respectifs s’abîment dans de délirantes vociférations, le processus de la realpolitik est déjà mis en œuvre par les éminences grises des deux camps. C’est de bonne guère. C’est de la politique!
Le contraire étonnerait.

Et Tshisekedi dans tout ça?
Le leader- de moins en moins charismatique- de l’Udps est le seul grand perdant de cette historique et somme toute extraordinaire aventure congolaise. En tous les cas.
Sa crédibilité est désormais sérieusement mise à mal. Même, et surtout, au sein de son propre parti. Elle le sera encore plus si J.-P. Bemba venait à l’emporter. Tshisekedi offrirait alors aux Congolais l’image du lâche qui a tout simplement craint le verdict des urnes. Puisque la victoire était possible. À preuve…
C’est dire qu’en son for intérieur Étienne Tshisekedi ne peut guère souhaiter la victoire de Bemba. Quoiqu’il en dise en public. L’élection de Kabila seule pourrait justifier sa défection du processus électoral.
Il devra peut-être s’habituer à vivre bien des nuits blanches, à défaut des villes mortes.
Lors même le futur président lui concédait le poste de premier ministre (qu’il n’a d’ailleurs jamais cessé de revendiquer, ainsi qu’une fin en soi), c’est en homme faible, affaiblit, qu’il l’occuperait. Puisqu’il ne l’aurait pas gagné.
En politique, en Rdc comme ailleurs, la position de faiblesse c’est le siège du mort!